L'Étalon de Sang

Chapitre 14

Siège

Les Félidés ont eu, quelques années plus tôt, un grand problème de consanguinité. Il est plus difficile pour des héritiers royaux, donc des lions, d'avoir des descendants de race pure comparés aux loups - et ce pour une raison qui nous échappe encore, à nous ethnologue. Mais, statistiquement, il sera plus facile pour une femelle noble, qui possèdera donc de lointains gênes dormant de lion, de donner naissance à un héritier royal.

Ainsi, durant plusieurs générations, la famille royale de Larissa s'accoupla entres proches membres de même famille, le plus souvent entre cousins et cousines, mais aussi entre demi-frères et sœurs. À mon sens, cela eut l'effet inverse que celui escompté à l'origine : le sang s'appauvrit tellement à cause de ces croisements consanguins que les lions furent beaucoup moins nombreux à naître. De plus, les symptômes de consanguinité affaiblirent les héritiers qui naissaient malingres, malades et trop agressifs. Lorsque l'un d'eux naquit difforme – ce fut une telle honte pour la famille royale que son nom ne fut jamais rapporté dans l'arbre généalogique – le père de l'enfant décida de faire appel à un médecin Larissien qui lui expliqua alors les problèmes des accouplements consanguins. Ce roi, dont je ne citerais pas le nom, fit de ce médecin ce qu'on appelle aujourd'hui un Généticien, autrement dit un spécialiste de la reproduction.

Aujourd'hui, le rôle du Généticien est simple : il possède quelques connaissances en médecine historique et est obligatoirement consulté par la famille royale, ainsi que par les familles les plus nobles et les plus riches de Larissa, pour d'éventuels accouplements ou mariages. En quelques coups d'œil seulement, il est capable de repérer la valeur d'un mâle ou d'une femelle Félidé et de déterminer quel race pourra le mieux leur convenir individuellement.

Malheureusement, régler le problème généré par cinq générations d'accouplement incestueux ne fut pas chose aisé, même pour un tel expert en reproduction, et les gênes lions furent difficiles à récupérer. Obtenir un descendant de race pure digne de ce nom fut long, et Larissa a été, durant deux générations, gouvernée par une branche cadette de la famille royale presque uniquement composée de léopard avant que ne naisse enfin un lion, qui n'est autre que mon propre père.

Suite à cette brève époque effrayante, où tous pensaient la race royale disparue à jamais, la chance sembla revenir car mon frère aîné et moi naquirent lions, avec une bonne chance de transmettre nos gênes si nous suivons les conseils du Généticien. Encore aujourd'hui, son rôle à Larissa est primordial pour le maintien de la race royale. J'espère que d'ici quelques années nous puissions nous débrouiller seuls sans remettre en danger le gêne lion, qui se fait si rare.

Extrait de « Histoire du monde thérianthrope »

Par le prince Ilias le Lion

an 387 av. J-C

Au même moment, aux portes de Delphes, Grèce, hiver de l'an 298 av. J-C...

Tout autour de lui, c'était l'effervescence. Les Serpents, les Crocodiles et les Cétacés allaient et venaient en se donnant mutuellement des ordres. Les coups de cravaches pleuvaient sur l'échine des chevaux Épirotes, capturés à Ioannina, qui tiraient derrière eux les lourdes catapultes et balistes, ces mêmes engins qui lui avaient permis de prendre la capitale des Ours.

Le soleil était levé depuis quelques heures et se trouvait bien haut dans le ciel, caché par les lourds nuages blancs chargés de neige. Il voulait que les Canidés le voient, il voulait qu'ils tremblent en le regardant se mettre en place pour tenir un siège autour des hauts remparts de Delphes.

Debout au milieu du campement, Rhadamanthe sourit et prit une grande inspiration chargée d'iode. Cette ville avait beau être belle et impressionnante, il savait qu'elle ne valait rien face à Athènes. Il se souvenait de l'apparence de la capitale grecque, ces magnifiques murs blancs aveuglants qui brillaient sous les rayons du soleil d'été, se nimbant d'or dans la journée et de rouge au crépuscule. Elle aussi, tout comme Ioannina, il la ferait brûler.