Chapitre 20

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Le nouvel alpha

La mort, je la vois approcher avec une grande sérénité. Je suis âgé maintenant.

À Agharia, le temps qui passe ne se mesure pas. Les jours n'ont pas de nom. Les années n'ont aucune signification et ne prennent sens qu'une seule fois, lorsque vient l'hiver et l'heure pour les femelles d'être fécondes. Moi également, j'ai fini par ne plus prêter attention au lever et au coucher du soleil dans le ciel. Je me disais simplement, une fois par an, que le temps rafraichissait et que l'hiver venait.

Aussi, la veille encore, j'ignorais depuis combien de temps j'avais quitté Larissa. Qu'il s'agisse de trente ou cinquante années, je n'en avais aucune idée et cela m'était totalement égal.

Seulement voilà. Ma femelle est morte. Elle, qui était si belle et si forte, est morte en tentant de donner la vie à notre onzième enfant. Ni elle ni lui n'ont survécu et je pleure leurs disparitions aujourd'hui.

Ce matin, pour une raison que j'ignore, mon esprit rationnel typiquement Larissien a repris le dessus et j'ai calculé : à raison d'un enfant né tous les deux ans, j'en ai déduit que vingt-deux années s'étaient écoulées depuis la naissance du premier, Regulus, survenue alors deux ans après que j'ai eu quitté Larissa. Cela faisait donc vingt-quatre ans que je n'avais revu ni mon père, ni mon frère. Je suis âgé de cinquante-deux ans.

Me manquent-ils ? Assurément non. D'ailleurs, avant aujourd'hui, je n'avais plus pensé à eux depuis au moins vingt ans, j'en suis persuadé. Alors pourquoi maintenant ? Parce qu'elle est morte, parce qu'elle n'est plus là, et je sens que je ne pourrais rester seul à Agharia très longtemps sans sa présence à mes côtés. Déjà, son odeur sucrée me manque. Comme je le disais, la mort vient et je suis serein.

Avant de l'accueillir à bras ouvert cependant, je ressens un besoin étrange. Celui de compiler ici, dans ce livre que je n'ai pas ouvert depuis plus de vingt-ans, la vérité. Sur les dix enfants que me donna ma belle femelle, six furent des lions. J'en ressens une grande fierté. Mon premier fils a déjà ses propres enfants, deux mâles âgés respectivement de trois et un an – Eole et Micène – qui sont, eux également, des lions.

Je pars donc en sachant que l'avenir de ma race est assuré. J'espère seulement que, lorsqu'ils découvriront que le sang royal, ce sang qui leur est si précieux, est devenu l'une des plus puissantes races sauvages d'Agharia, les Larissiens en soient fiers.

Extrait de « Histoire du monde thérianthrope »

Par le prince Ilias le Lion

an 362 av. J-C

Le lendemain, Agharia, cœur de la Forêt Profonde, hiver de l'an 298 av. J-C...

La terre, prise dans la glace, était très dure à creuser. Avec une grimace, Shun leva à nouveau son outil et l'abattit avec autant de force que possible. Il parvint à agrandir le trou de quelques centimètres, révélant une épaisse racine rugueuse qu'il s'évertua à libérer. Il avait les doigts si froid qu'ils lui faisaient mal.

Il jeta un coup d'œil à son seau, qui n'était rempli qu'au tier. Il n'aimait pas tellement ce genre de nourriture amère mais c'était nourrissant et cela leur permettait à tous d'avoir le ventre plein quand la viande manquait.

Après plusieurs minutes de labeur, il parvint enfin à arracher la racine. Son bras lui faisait mal. Comme d'habitude, Dohko avait fait du très bon travail avec la plaie et les herbes qu'il utilisait l'avait empêchée de s'infecter mais cela restait douloureux.

Il n'osait pas imaginer ce qu'il se serait passé s'il n'avait pas été là pour soigner les blessés après l'attaque de Minos. Le nombre de morts aurait pu être deux fois plus élevé.

L'Étalon de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant