L'Étalon de Sang

Chapitre 17

Le Jumeau Maudit

En étudiant les Agharians durant ces quelques semaines que j'avais passées en Forêt plusieurs mois plus tôt, je m'étais surtout concentré sur les relations entre les mâles et les femelles, ainsi que sur le pouvoir du mâle alpha et l'organisation hiérarchique de la tribu. Pas un seul moment je ne m'étais intéressé, de près ou de loin, à leur religion.

Jusqu'ici, j'ai toujours entendu dire que les sauvages pratiquaient une religion païenne où ils vénéraient une déité cruelle qui ne pouvait être apaisée que par des offrandes de sang, de vie et de chair. En y repensant, durant ces nombreux jours d'étude je n'assistais à aucun sacrifice ni rien qui sorte de l'ordinaire. En arrivant donc à Agharia, juché sur mon étalon avec la jeune femelle blessée mais consciente, je ne compris pas immédiatement ce qu'il se passa.

D'abord surpris, les Agharians se sont vite repris et sont brutalement devenus agressifs, à tel point que je me suis mis à trembler de peur sans savoir quoi faire. Puis, l'une des plus vieilles femelles a crié quelque chose dans sa langue et tous se sont figés avant de brutalement crier de joie, proche de l'euphorie. Il me semble qu'à un certain moment, la femelle tout contre moi a bien tenté de faire entendre sa voix, mais personne ne l'a écouté et elle fut forcée de descendre de mon cheval.

Quant à moi, je suis longtemps resté interdit et effrayé, ne comprenant rien de ce qu'il se passait autour de moi. J'ai bien tenté d'étudier la langue Agharianne, et parvins donc à déceler quelques mots parmi les plus simples – tous sur une base grammaticale très proche du grec ancien – mais il était évident à cet instant que je ne pouvais décemment pas comprendre toute la subtilité de la scène qui se déroulait sous mes yeux. J'ai alors vu le sang déposé sur le dos de mon étalon.

C'était un sang d'un rouge très sombre, presque noir, à la forte odeur corporelle que j'ai rapidement identifié comme étant celui d'une saignée. Était-ce la raison pour laquelle les Agharians étaient si excités ? Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? À quelques pas de moi, la jeune femelle que j'avais sauvée tentait par tous les moyens de repousser quelques mâles entreprenants qui n'ont évidemment pas tardé à se battre les uns contre les autres, plongeant la tribu dans un chaos inimaginable. Des femelles, très jeunes pour la plupart, se sont brusquement agrippées à mon cheval puis à moi et une onde d'odeurs épicées fortement chargées en phéromone me fit presque brûler de l'intérieur.

Je ne me suis évidemment pas concentré sur ce qu'il se passait tant j'avais peur de voir débarquer la Horde, menée par mon père et mon frère. J'ai bien tenté par tous les moyens de leur parler mais ils étaient trop euphoriques et excités pour m'écouter, et ce pour une raison que j'ignore complètement.

Cependant, au bout de quelques minutes de cris, je parvins néanmoins à comprendre ce qu'ils hurlaient à pleins poumons ; un mot que je n'avais jamais entendu jusqu'ici : Alògou.

Extrait de « Histoire du monde thérianthrope »

Par le prince Ilias le Lion

an 387 av. J-C

Au même moment, Pella, capitale de la Macédoine, hiver de l'an 298 av. J-C...

Si, durant les trois premiers mois, son état l'avait empêché de manger quoi que ce soit, à présent Shiryu avait sans arrêt l'impression d'avoir terriblement faim. Il ne cessait de manger depuis maintenant près d'une semaine, bien qu'il fasse preuve d'une incroyable volonté de fer pour ne pas sonner ses servantes à toute heure de la journée afin qu'elles lui apportent un plateau repas. C'était comme si l'enfant qu'il portait, cette petite vie minuscule, avait à présent atteint un certain état de conscience qui lui aurait fait comprendre qu'il devenait petit à petit un être de chair et de sang qui avait besoin de se nourrir pour grandir.