Chapitre 19

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Instinct

C'est la première fois en plus de deux années que je ressens le besoin d'ouvrir cet ouvrage. L'humidité de la Forêt Profonde et les mauvaises conditions de conservation l'ont abîmé plus que ce que j'aurais cru et j'en ressens une grande tristesse. Je sais bien que, personne, jamais, ne pourra trouver ce livre ici et encore moins le lire, mais je décide néanmoins de prendre davantage soin de lui. Qui sait, peut-être qu'un jour il servira.

Je suis devenu, après la bataille qui m'opposa à la Horde de mon père et de mon frère, un chasseur Agharian. Certes, au début, je manquais de pratique et n'étais pas très utile à la Tribu – seule ma condition de Kynigòs me protégea du courroux des autres chasseurs – mais au fil du temps, je gagnais en dextérité et je devins, ma foi, très efficace. Cette place que j'ai gagnée au sein de la Tribu m'a permis de prendre une femelle. Cette même jeune et belle femelle que j'avais sauvé des mois plus tôt des soldats Félidés qui me poursuivaient. Celle-là même qui saigna sur mon étalon et qui, depuis, m'obsédait.

Aujourd'hui, le fils qu'elle m'a donné plus d'un mois plus tôt a toutes ses chances de survivre, voilà pourquoi j'ai pris la décision de parler de lui dans cet ouvrage. Ma femelle lui a légué ses lumineux cheveux roux et moi mes yeux bleus ainsi que mon sang royal : c'est un petit lionceau très vif et fort qui, âgé de cinq semaines seulement, m'a déjà mordu trois fois jusqu'au sang. Un petit mâle que je décidais, avec l'accord de ma compagne, de nommer Regulus.

Ce prénom de mon invention est la combinaison de deux mots Agharians signifiant ni plus ni moins « lion-roi ». Est-ce un peu présomptueux de ma part ? Je ne crois pas. Ma femelle n'est pas de sang royal. C'est un caracal à la fourrure jaune fauve, absolument pas considérée, à Larissa, comme une race royale ou potentiellement porteuse de gênes dormants lions, et pourtant le premier mâle qu'elle m'a donné est un magnifique lionceau de race pure.

Pourquoi une Agharianne transmettrait-elle plus facilement les gênes lions royaux qu'une noble Larissienne ? Je l'ignore est n'ai pas envie d'y penser. La seule chose qui m'importe est qu'il s'agit d'une femelle douce, forte et belle, que j'aime profondément et qui a donné une nouvelle chance à l'avenir de ma race.

Extrait de « Histoire du monde thérianthrope »

Par le prince Ilias le Lion

an 384 av. J-C

Quelques heures plus tôt, Agharia, hiver de l'an 298 av. J-C...

Le soleil venait à peine de se lever lorsque Shun sortit. Le froid était aussi coupant qu'un poignard. Il resserra son large manteau de fourrure autour de son corps et expira un long panache de fumée.

Kali avait beaucoup pleuré cette nuit, l'empêchant de dormir. Et avec la journée qu'ils avaient eue hier, il était épuisé. Mais, plus encore, il était affamé.

Le soleil était très brillant ce matin. La forêt restait pourtant froide et silencieuse. Comme si la vie s'était mise au ralenti dans la Tribu. D'ordinaire, les cris des enfants en train de jouer l'animait, de même que les chants, les grognements et les appels des sauvages. Mais aujourd'hui, les survivants gardaient un calme respectueux.

Shun prit le temps de les observer un instant. Dans la neige et le sang dur, les femelles allaient et venaient le visage bas. La plupart d'entre elles portaient des stigmates de l'attaque : blessées, elles boitaient ou gémissaient de douleur mais supportaient tout cela courageusement et tentaient de remettre les choses en l'état.

À plusieurs, elles relevaient les tentes et consolidaient les fondations. Soudées, elles allumaient des feux un peu partout pour tenter de se réchauffer en groupe. Ensembles, elles enterraient les corps à l'écart.

L'Étalon de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant