Chapitre 18

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Des alliés inattendus

J'avais déjà, bien évidemment, pu admirer la magnifique beauté simple et sauvage d'Agharia, mais je découvrais après seulement quelques jours que je ne m'en lasserais jamais.

Les Agharians vivent en communion totale avec la nature, à un degré de respect qui force l'admiration. Malgré les dizaines, les centaines, et peut-être même les milliers d'années qui se sont sans doute écoulées depuis leur installation au cœur de cette forêt, elle ne garde que peu de trace de leur présence.

Leurs tentes en bois et peaux d'animaux ne détériorent en rien ce paysage magnifique et se fondent parfaitement parmi les arbres. Les bruits ici ne dérangent en rien le chant naturel de ces bois et, tous, dès le plus jeune âge, apprennent à s'exprimer autrement qu'avec des mots. Ils parlent, évidemment, et possèdent une langue plus complexe qu'il n'y paraît, mais la communication entre eux s'effectue surtout grâce aux grognements, aux regards et aux odeurs. Ils ont une telle maîtrise des phéromones qu'émettent leurs corps que cela en est vertigineux.

Voilà pourquoi je n'ai pas hésité un seul instant à moi-même mener les chasseurs Agharians contre la Horde dirigée par mon frère et mon père. Car je montais l'Alògou, l'étalon de sang. J'étais devenu le Kynigòs et c'était mon rôle de protéger Agharia, cette si belle Tribu cachée parmi les sapins vert émeraude.

Bien évidemment, j'ignorais à cet instant ce que tout cela signifiait. J'ignorais que la Déesse Mère – le nom spirituel que les matriarches donnaient à la Forêt Profonde – m'avait désigné par cette femelle vierge qui avait déposé son premier sang sur le dos de mon étalon. J'ignorais tout ça au moment de la charge mais cela ne m'a pas empêché de me battre contre les miens pour protéger les sauvages.

Instinctivement, les Agharians ont deviné ce qui se préparait et m'ont obéi, plus furieux et dangereux que jamais. Avec une efficacité et une hargne surprenante, ils ont repoussé les soldats de la Horde hors des limites territoriales d'Agharia et j'ai vu mon père le roi Andral et mon frère le prince héritier Sisyphe faire volte-face et fuir. L'allégresse et l'ivresse de la victoire ont vite remplacé la colère et j'ai été accueilli dans la Tribu comme un dieu venu d'ailleurs. L'alpha lui-même s'est incliné devant moi.

Au moment où j'écris ces lignes, cette bataille a eu lieu il y a déjà plusieurs mois. J'ai relégué mes anciens souvenirs au plus profond de ma mémoire et n'ai pas l'intention de les en faire sortir un jour.

D'ailleurs, il est peut-être temps pour moi d'arrêter cet ouvrage, car à qui pourrait-il servir, ici ? Qui prendrait le temps de le lire ? De toute façon, je n'ai plus le temps pour ça aujourd'hui.

Je suis devenu un chasseur Agharian à mon tour et ma vie est toute entière tournée vers le bien-être de la Tribu.

Extrait de « Histoire du monde thérianthrope »

Par le prince Ilias le Lion

an 386 av. J-C

Quelques heures plus tard, Agharia, cœur de la Forêt Profonde, hiver de l'an 298 av. J-C...

Ce n'est pas sans difficulté que Camus fit glisser son épée dans son fourreau. Sa blessure au bras le faisait beaucoup moins souffrir et ne saignait plus mais un geste trop brusque pouvait tout à fait rouvrir la plaie à peine refermée.

Il s'assura que son arme était bien ceinturée et regarda autour de lui. Son cœur se gonfla à la fois de rage, de honte et de tristesse.

Les Agharians avaient déjà commencé à creuser des tombes. Le nombre de femmes et d'enfants figurant parmi les victimes était honteusement élevé. Le sang était à présent si bien mêlé à la neige et la boue qu'il était impossible de les différencier désormais et tous ceux qui allaient et venaient depuis le départ de la Horde et la défaite de Minos avaient les bottes et le pantalon gorgé d'humidité rouge.

L'Étalon de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant