Chapitre 4 - Raphaëlle

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Raphaëlle — Quand j'arrive enfin dans ma chambre, c'est le petit matin. Je rentre sans faire de bruit, car je ne sais pas si Emma est là. Quand je me rends compte que ce n'est pas le cas, j'allume, sors mon sac de voyage et le jette sur mon lit. Puis je tente de le remplir avec des affaires pour deux semaines. Deux bas de survêt, des tee-shirts, quelques paires de chaussettes, des sous-vêtements, ça devrait faire l'affaire. Je me surprends à craindre d'oublier quelque chose et me raisonne finalement en me disant que de toute façon ma cousine pourra me prêter tout ce dont j'aurais besoin.

Tout me semble à la fois accéléré et très lent. C'est souvent comme ça quand j'ai fait une nuit blanche. Mes sensations et mes pensées n'ont pas le même rythme et ça me fait une impression étourdissante. J'avais pourtant dit à Sarah que je ne voulais pas aller à cette foutue soirée. Que j'avais de la route, que je devais dormir. Mais elle n'a rien voulu savoir. Il a fallu qu'elle insiste avec ses « on se reverra pas pendant deux semaines... ». Et moi, comme d'habitude avec Sarah, je n'ai pas été assez ferme et j'ai cédé. Ah ! Celle-là alors...

Je ferme mon sac, me dirige vers la porte pour partir, me rappelle soudain que j'ai un truc à faire avant, pose mon sac au sol, vais vers la fenêtre, l'ouvre, regarde dehors pour vérifier qu'il n'y a personne, mets ma main dans la poche de mon jean, et en sors mon trophée. Ce soutien-gorge est magnifique ! Je le renifle une dernière fois. Hum ! Mon Dieu ! Cette douce odeur de noix de coco... Je regarde une dernière fois dehors, puis le jette, contemple un instant mon œuvre en ressentant une grande fierté. Une touche de rouge... Parfait ! Après quoi, je referme la fenêtre, reprends mon sac, et m'en vais.

J'aurais voulu aller dire au revoir à Sarah avant de partir, mais il est beaucoup trop tôt et elle doit sûrement dormir. Je décide alors de prendre directement la route pour Lausanne. J'ai en tout cinq heures de trajet. J'aimerais arriver le plus tôt possible. L'idée de passer deux semaines avec ma cousine me réjouit à un point qui me surprend moi-même. Et alors que je rentre sur l'autoroute, mes pensées commencent à divaguer et je les laisse m'échapper.

Je me mets alors à penser à ma cousine. Elle s'appelle Emmanuelle, mais tout le monde l'appelle Manu. Je prends soudain conscience que j'adore cette fille. C'est quelque chose que je sais depuis toujours, mais à cet instant précis, cette affirmation prend tout son sens. Si Sarah est la personne à qui je tiens le plus au monde, c'est de ma cousine que je suis le plus proche. C'est comme une sœur pour moi. On se ressemble tellement. Il n'y a qu'elle pour comprendre vraiment qui je suis. Même Sarah ne peut pas tout comprendre comme ma cousine, me comprendre dans sa chair, et dans ses tripes.

Ma cousine et moi sommes proches depuis notre enfance. Toutes les deux, nous sommes nées dans un corps qui ne nous correspond pas parfaitement. Avec un « elle » qui ne nous va pas vraiment. Ce semestre, une intervenante extérieure est venue pour nous parler de ses travaux de recherche. Moi je m'en foutais royalement, j'avais repéré une fille deux rangs devant moi dans l'amphi qui semblait me regarder souvent. J'étais en train d'imaginer la manière dont j'allais l'aborder à la sortie du cours quand soudain, j'ai entendu le mot « sexe ». J'ai alors tourné mon attention vers l'intervenante. C'était bien elle qui venait de parler de sexe. Intriguée, j'ai alors écouté un peu ce qu'elle racontait. Et je me suis rendu compte que ce cours était passionnant, même si les souvenirs que j'en ai se sont un peu effacés avec le temps.

Elle a expliqué que le sentiment d'être un homme ou une femme n'est pas forcément lié à notre sexe biologique. Souvent bien sûr, un homme se sent homme et une femme se sent femme. Mais pour beaucoup de gens, ce n'est pas si simple... Contrairement au sexe biologique, à deux options possibles, homme ou femme, pour la dimension psychologique de la sexualité, il y aurait plutôt une échelle avec un pôle homme et un pôle femme, et une infinité de positions possibles entre les deux.

Ce cours m'a permis de poser des mots sur des choses que j'avais toujours senties en moi. Personnellement, si je devais dire quelle est ma position sur cette échelle je me placerais au beau milieu... ou alors, disons légèrement du côté homme, sans y être non plus tout à fait. En réalité, quand on parle de moi en disant « elle » parfois ça me fait drôle et je ne m'y retrouve pas. Sans pour autant me retrouver dans un « il » auquel je ne peux pas non plus vraiment m'identifier. De tout temps, je me suis toujours davantage sentie à ma place dans un rôle d'homme. Petites, je préférais les jouets, les vêtements, et les occupations des garçons. Disons qu'avec le temps, j'ai fini par me construire une sorte de troisième genre. Qui est autant l'un que l'autre. Ou ni l'un ni l'autre, je sais pas trop... Et qui me permet d'être moi-même. Et c'est bien ça le plus important finalement ! Je veux dire, moi, je me sens bien dans mon corps et dans ma tête. Je me sens libre d'être moi-même. Je me suis faite à cette situation et alors que j'ai longtemps regretté de ne pas être née homme, finalement, maintenant j'en suis très contente.

Et je crois pouvoir dire que pour ma cousine, c'est pareil ! Le plus drôle, c'est qu'on a toutes les deux des prénoms mixtes. Je crois que nos parents auraient voulu qu'on soit des garçons... Je pense que c'est pour ça qu'on est si proches elle et moi...

Alors que je pense à tout ça, mon téléphone sonne. C'est Sarah. Je réponds en mettant le haut-parleur.

— Salut ma Sarah. Comment ça va ? je lui demande avec un ton enjoué.

— Me dis pas que t'es partie sans me dire au revoir ? me lance-t-elle avec un ton râleur, sans répondre à mes salutations.

— Heu...

— Raph' !

— Il était trop tôt, je suis partie à sept heures, j'ai pas voulu te réveiller.

— Franchement, tu exagères...

— Allez, fais pas la tête, on se revoit dans deux semaines ! Mais dis-moi, tu viens de te réveiller ? je lui demande en me rendant compte qu'il est pas loin de midi.

— Ouais.

— T'es rentrée tard ?

Je lui dis ça avec un grand sourire qu'elle ne voit pas. Je me doute qu'elle a passé une très bonne soirée. Elle est venue avec la fille qu'elle a branchée dans le café hier. Je crois qu'elles ont bien accroché...

— Oui, je me suis bien amusée, me répond-elle d'un air coquin.

— Elle s'appelle comment ta copine ?

— Jessica. Elle est... disons... surprenante...

— Faudra que tu me racontes tout ça...

— Et toi alors ? Ça a été aussi à ce que j'ai cru comprendre, me lance-t-elle comme pour changer de sujet.

— Ouais, ça a été nickel.

— Tant mieux. N'oublie pas de m'appeler quand t'arrives OK ?

Je lui promets de l'appeler et je raccroche en étant rassurée de l'avoir eue au téléphone. Je n'aime pas partir sans lui dire au revoir.

Le secret de VénusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant