Emma — Ce matin, quand je suis rentrée dans ma chambre, ma coloc Raphaëlle n'était pas là et j'ai trouvé un soutien-gorge sur mon lit. C'est pas la première fois que ça arrive. J'ai d'abord cru à une blague qu'on voulait me faire, comme une sorte de bizutage pénible qui finirait tôt ou tard par s'arrêter. Mais avec le temps, j'ai fini par comprendre qu'il s'agissait seulement d'un dommage collatéral des entrevues sportives qui semblent avoir lieu ici. Au fond, ni mon lit ni moi ne sommes directement visés. Nous nous trouvons juste au mauvais endroit...
Concernant la nature du projectile, elle semble changer de façon étonnante, mais on reste tout de même invariablement dans le domaine des sous-vêtements : bas résille, soutiens-gorge, porte-jarretelles... Les mauvais jours, un string. Les très mauvais jours, deux strings ! Les couleurs et motifs varient également, et j'avoue quand même avoir été un jour surprise par une culotte jaune fluo avec les mots « Fessez-moi » inscrits en rouge sur le derrière !
C'est étrange, car, inéluctablement, ces projectiles arrivent sur mon lit. Et ce, toujours le lendemain d'un soir où j'ai découché. Fort heureusement, jamais encore ce curieux phénomène ne s'est produit alors que j'étais moi-même dans mon lit !
De ce fait, j'ai dû faire jouer mon imagination et être force d'hypothèses pour identifier de quoi il retournait. Je n'ai jamais osé en parler avec ma coloc. J'avoue être impressionnée par cette fille. C'est quelqu'un d'assez froid... Enfin... avec moi du moins. Parce qu'à l'évidence, elle est loin d'être froide avec tout le monde ! Elle fait sa vie, et m'adresse finalement très peu la parole. Pourtant je trouve que l'ambiance est agréable quand nous sommes toutes les deux dans la chambre. Notre cohabitation se passe bien, sa présence est loin d'être désagréable.
J'ai vite compris qu'elle aimait les filles. Rien qu'en la voyant la première fois j'ai su. Cela transparaît dans sa manière d'être et de s'habiller. Mais ça ne me dérange pas plus que ça. Ça m'intrigue à vrai dire. Je n'ai jamais rencontré de lesbienne avant elle. Je me demande comment on sait qu'on aime les femmes... Est-ce qu'on le sait tout de suite ou bien se réveille-t-on un matin en ayant une sorte de révélation ? Je ne me suis moi-même jamais posé la question. Je n'ai jamais considéré les filles de cette manière. C'est étrange parce que cela ne fait aucun doute, c'est une fille, sa féminité est présente, mais... elle a aussi un côté assez masculin qu'on ne peut pas ignorer...
Et à en juger par la quantité astronomique de sous-vêtements qui s'échoue sur mon lit, il semble que ce soit un vrai défilé dans cette chambre qui s'apparente, en mon absence, davantage à une garçonnière qu'à une chambre de cité universitaire. J'ai aussi pensé qu'il pouvait s'agir de ses sous-vêtements à elle, mais ça ne colle pas. Ils sont de styles trop différents les uns des autres, et puis... où stockerait-elle tout ça ?
En ce qui concerne la gestion à proprement parler de l'incident, pour ma part, je me contente de prendre du bout des doigts les projectiles en question, et les lancer avec dégout et répugnance sur le lit de ma coloc. C'est au fond une sorte de retour à l'envoyeur si j'ose dire.
Alors que je réfléchis silencieusement à tout ça, en étant assise devant mon bureau, Raphaëlle entre soudain dans la chambre.
— Salut, me lance-t-elle en posant bruyamment toutes ses affaires sur son bureau qui lui sert de débarras...
— Salut.
— Ça t'ennuie si je prends une douche ?
— Non pas du tout.
Je regarde l'heure. Il est quatorze heures. Décidément nous n'avons vraiment pas le même rythme de vie ma coloc et moi...
— Cool, me répond-elle.
Elle s'assoit alors sur son lit et s'apprête à enlever ses chaussures, quand elle aperçoit soudain le fameux soutien-gorge que j'ai envoyé sur son lit ce matin même. Je l'observe discrètement et fais comme si je n'avais rien remarqué. Je la vois alors sourire. Puis, avec une sorte d'empressement, elle le saisit, va à la fenêtre, l'ouvre et regarde alentour. Puis elle finit par jeter le pauvre sous-vêtement loin devant elle.
Nous y voilà ! Cette fois, c'est moi qui souris. Car tel est le triste destin de tous ces projectiles à la trajectoire malheureuse ! Donc, récapitulons... Arrivant dans cette chambre sans se douter de rien contre la peau de sa propriétaire d'origine, le sous-vêtement est soudain projeté sans s'y attendre sur mon lit, y ricoche pour arriver sur le lit de ma coloc, puis finit par passer par la fenêtre. Le buisson en bas de notre fenêtre en est l'heureux acquéreur temporaire.
La gardienne de la résidence prend le problème à bras le corps ! C'est elle qui est concernée à partir de ce moment-là. Quand Raphaëlle l'entend râler, elle se met à la fenêtre l'air innocent, allume une cigarette et observe tranquillement. Elle écoute les plaintes de la gardienne. Cette dernière cherche avec virulence du regard si le coupable de cet acte honteux est encore dans les parages, profère de nombreuses menaces avec son manche à balai, mais ne trouve jamais personne pour y répondre. Raphaëlle la regarde ensuite installer l'escabeau pour aller chercher à l'aide son balai tous les projectiles qui finissent leurs sinistres parcours dans la poubelle. Quand tous les projectiles ont disparu du buisson, un nouveau cycle recommence. Chaque début de mois la gardienne vient enlever les décorations du buisson sous notre fenêtre et chaque début de mois, elle y trouve toujours une quantité toujours plus importante de sous-vêtements.
Je n'en suis pas tout à fait sûre, mais j'ai l'impression que Raphaëlle voit ce buisson comme une sorte de trophée. Elle semble vouloir faire une compétition avec elle-même. Elle a peut-être le projet insensé de recouvrir entièrement le buisson... Qui peut savoir ? Tout cela est incroyable ! C'est finalement une sorte d'œuvre d'art. Dans laquelle sont impliqués tous les protagonistes, y compris moi, mon lit et la gardienne.
Étonnement, aucune fille n'est jamais venue réclamer son sous-vêtement. Et je dois bien avouer que cela m'intrigue... Comment peut-on repartir sans son string ?
Après sa douche, Raphaëlle, avec qui je n'ai pas échangé plus de deux mots, s'installe sur son lit, met son casque sur ses oreilles et s'endort. Il émane d'elle tant d'assurance... une telle insouciance. Je ne la vois jamais travailler... Pour une fille comme moi toujours trop sérieuse et qui n'a pas confiance en elle, c'est très impressionnant. Et je la regarde dormir avec une sorte de fascination que j'ai du mal à m'expliquer. Je crois que je l'envie... Comme j'aimerais être comme elle...
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Le secret de Vénus
RomanceÀ vingt-et-un ans, Raphaëlle, jeune femme au charme irrésistible et aux allures androgynes, a tout pour plaire : la beauté, l'assurance, l'aisance et puis... ce sourire ravageur... Ah ça c'est sûr, elle en fait craquer plus d'une ! Ce joli cœur est...