Aube Chapitre 6

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Le paysage défilait mollement aux dessus d'eux. Les nuages au loin se drapaient dans leurs capes de nuit et le ciel rose pâle paraissait enflammer les champs de blé qu'on avait laissé à l'abandon. L'hiver les moissonnerait, tandis qu'eux seraient loin. Aube avait passé les premiers jours à s'occuper des enfants du village, voyageant, mangeant et dormant avec eux. Les adultes et les parents ayant bien assez à faire, tout le monde avait semblé satisfait de ses efforts et personne n'avait trouvé à y redire. Pas même la vieille Maggy qui venait tous les jours inspecter son travail d'un œil sévère. Jude venait souvent manger avec elle lors de la halte de midi, mais elle repartait s'occuper de la marmite du soir, ou alors pétrir de la pâte à pain que le boulanger s'échinait à faire lever dans son chariot bâché. Elle jeta un nouveau coup d'œil au ciel et aux nuages qui s'amoncelaient. La pluie serait de la partie ce soir. Aube se demanda comment s'en tireraient les miches de Noah et puis elle gloussa en pensant à la bedaine généreuse du boulanger. Si Jude avait été là elles en auraient ri aux éclats.

Maggy approchait pour son inspection quotidienne. Ce fut la petite Constance qui l'aperçut en premier. Elle se redressa d'un bond dans le chariot et fit trembler les brindilles qu'Aube avait agencées afin qu'elles forment un calcul simple. Elle soupira avant de se redresser à son tour, signifiant son agacement à la petite en sifflant entre ses dents. Constance se rassit et se ratatina. Aube ne put s'empêcher de sourire. Elle se figurait la vieille Maggy qui la tançait elle-même au même âge. Qui aurait pu croire qu'elle pourrait un jour avoir cet effet sur quelqu'un ?

« Aube, il faut que tu viennes avec moi. »

La voix de la vieille femme était calme, posée. L'ordre, bien que nuancé, était sans appel. Aube se leva et alla rejoindre sa maîtresse avant même d'avoir compris ce qu'elle faisait. La guérisseuse lui prit le poignet et l'entraîna à l'écart du convoi. Là, elle lui montra le ciel.

« Dis-moi que la guérisseuse que tu es a senti ce qui approche.

- La pluie ? Demanda Aube. Maggy claqua sa langue.

- Si jeune... La pluie, oui, mais surtout ce qui l'apporte.

- Ce qui l'apporte ? L'orage ? Maggy hocha la tête. Aube la sentit troublée.

- Il va y avoir de l'orage cette nuit en effet. Seulement, celui-ci ne sera en aucun cas comparable à tous ceux que tu a pu connaître. Ce que tu as pris pour des nuages à l'horizon n'en sont pas.

- Mais alors quoi ?

- Si tu fais exactement ce que je te demande, ni toi, ni personne dans ce convoi ne le saura jamais. Ilias a raison, si les villageois apprennent la vérité sur cette chose qui s'apprête à nous survoler, nous ne serons pas capables de leur faire garder la raison.

- Et c'est une bonne raison pour ne pas me mettre dans la confidence ? Maugréa, Aube.

- Sans doute. Gloussa Maggy, puis ajouta devant le regard outré de ton apprentie. Si tu avais suivi mon enseignement avec autant d'application que tu le prétends, tu aurais reconnu les signes. Sur ce ! S'exclama-t-elle pour couper court à toute discussion de son apprentie. Je t'envoie Shiis et Jude dans une demi-heure pour qu'ils viennent fixer des bâches sur les chariots des enfants, tu les aideras. Cette nuit, alors que nous camperons à l'orée de la forêt de Tendone tu devras veiller à ce qu'aucun des enfants ne mette le nez dehors. Jude s'occupera de l'autre chariot. Tu m'as bien comprise ?

- Parfaitement bien. » Répondit Aube, l'air on ne peu plus sincère.

Elle réfléchissait tellement qu'elle avait l'impression que sa tête allait prendre feu spontanément. Un orage, une chose qui les survole. Les villageois qui seraient terrifiés et même Maggy qui semblait tendue comme un arc, prête à rompre. Quels signes aurait-elle dû reconnaître ? Elle ruminait encore ces pensées quand Jude se présenta avec Shiis, les bras chargés de lourdes bâches de cuir ciré de frais. Le temps était encore sec, mais les vents avaient forci et ils charriaient une odeur d'humidité. Ces mêmes vents jouaient avec la robe flottante de Jude, révélant sa silhouette et ni Aube, ni Shiis, n'y paraissaient insensibles alors que les trois jeunes gens s'échinaient à sangler les bâches, aidés maladroitement par les enfants comme toujours pleins de bonne volonté. La main de Shiis avait tendance à s'attarder sur celle de Jude et ce n'avait pas été innocemment qu'il s'était hissé sur le chariot le torse nu après avoir retiré sa chemise rendue humide de sueur par l'effet conjugué de l'effort et de la chaleur étouffante de cette fin de journée d'été. Aube s'était contentée d'observer le manège et les réactions enthousiastes de son amie d'enfance avec un sourire mi-figue mi-raisin plaqué sur les lèvres. Depuis leur plus jeune âge elle avait remarqué que les garçons regardaient souvent la belle Jude avec une admiration et une ferveur qu'elle-même partageait. Elle n'était pas jalouse de ces attentions, non plus qu'elle les aurait préférés pour elle. Certains jeunes marchands de passage, fermiers du village d'à côté ou encore un ou deux voyageurs avaient tenté de l'approcher et en ces occasions elle avait pu se mettre assez à la place de son amie pour conclure que définitivement, elle préférait passer du temps sur les berges d'un étang avec Jude pour seule compagnie. Un jeune marchand blond du nom de Devan l'avait embrassée une fois, avant qu'elle ne le repousse et s'éloigne sans un mot dégoûtée et morte de honte. Aube y repensait souvent en se demandant ce qu'elle aurait ressenti si c'étaient les lèvres de Jude qui s'étaient posées sur les siennes. Comme à chaque fois que ce genre d'idées lui traversaient la tête l'apprentie guérisseuse rougit profondément et plongea sous un chariot une sangle à la main à la recherche d'une boucle qui lui servirait d'excuse afin de dissimuler son visage.

L'HÉRITAGE DES TEMPÊTES Tome 1 La Guérisseuse, L'Érudite Et La PrincesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant