L'HÉRITAGE DES TEMPÊTES Tome 1 La Guérisseuse, L'Érudite Et La Princesse

Aube Chapitre 2

Le lendemain, Aube ne s'était toujours pas remise du choc qu'avait provoqué la guérison miraculeuse de Karib, ni de sa trop courte nuit, ni de sa terrible gueule de bois. La veille au soir, Jude et elle avaient passé une délicieuse soirée au bord de l'étang. La jolie jeune femme avait minaudé un peu auprès du vieil aubergiste qui avait cédé bien facilement, leur confiant une pleine amphore d'un vin rouge et ample et... empoisonné probablement ! Si elle en jugeait par l'état de son estomac, de son crâne et du monde au-delà. Elle avait l'habitude d'être réveillée par les rayons du soleil qui s'élevait chaque matin devant sa fenêtre dont elle ne fermait pas les volets, régulièrement accompagné par le chant du coq et les piaillements des oiseaux. Ce matin là, elle avait troqué la joyeuse mélodie habituelle par les bruits écœurants de l'estomac de Jude qui se rebellait contre les traitements qu'elle lui avait infligés la veille. En soupirant et en serrant les dents pour contrôler sa propre nausée, elle s'était levée pour préparer un remède, l'un des premiers que la vieille Maggy lui ait enseignés. Elle prépara une tasse d'infusion pour Jude et s'en servit également une généreuse rasade. Le teint de Jude était passé de pâle à presque translucide, ses cheveux étaient emmêlés et ses yeux d'ordinaire du cobalt le plus pur étaient vitreux et humides. En la voyant Aube marqua un temps d'arrêt, même dans cet état elle ne pouvait pas s'empêcher de la trouver adorable. Elle s'agenouilla près de son amie et lui tendit la tasse fumante avec un sourire encourageant. Jude l'accepta sans décrisper les lèvres et alors qu'elle s'efforçait de boire Aube comprit qu'elle appréhendait d'ouvrir la bouche. Elle l'avait laissée là et était allée leur préparer un déjeuner. Elle connaissait suffisamment Jude pour savoir que quand elle se serait remise de son malaise elle serait affamée.

Elle venait de finir péniblement sa tartine de confiture de mûres quand on frappa à la porte de la petite chaumière qu'elle partageait avec son frère. Jude n'avait toujours pas réapparu. Aube se leva et alla ouvrir. Karib et Mira se tenaient sur le seuil, le frère et la sœur, pâle comme des morts, le visage fermé. Aube ne put retenir un frisson avant de demander d'une voix faible.

« Qui ?

- Rob. » Répondit Mira.

Rob, le forgeron, à la forge donc, une brûlure, probablement grave. Se dit Aube, sa formation reprenait le dessus et il lui semblait presque entendre la voix éraillée de la vieille Maggy. Sa gueule de bois n'avait pas disparu, elle l'avait juste refusée. Pour le moment, elle ne pouvait pas se permettre de faiblir.

« Où ? Demanda-t-elle.

- Près du champ de maïs des Gasdon. Murmura Karib, l'air hagard.

- Le champ ? Qu'est-ce qu'il est allé faire là-bas ? Souffla Aube alors qu'ils la guidaient vers l'endroit.

- Oh, comme d'habitude. Marmonna Mira en fuyant son regard.

- Rob et Mira se promenaient. » Répondit Karib pour sa sœur qui concentrait son attention sur ses brodequins.

« Par toutes les étoiles du firmament ! Qu'est-ce qui s'est passé ici ? » S'exclama Aube en découvrant la scène.

Une partie du champ de maïs semblait avoir été haché menu, un ovale avait été percé dans le mur de céréales et au centre gisait un cadavre noir de sang. Si Mira ne lui avait pas révélé, son identité Aube aurait été incapable de reconnaître ce qui avait été Rob, le jeune et attachant forgeron d'EauClaire. Elle s'agenouilla près de la dépouille plus par égard pour Karib et Mira que par réel intérêt. Il n'y avait plus rien à faire pour Rob, il était mort et il l'était sans doute déjà avant que Karib ne frappe à sa porte. La nausée revint à ce moment, mais elle l'ignora, serra les dents et se tourna vers Mira. Cette dernière ne put soutenir le regard de la guérisseuse et détourna les yeux. Elle prit cependant la parole pour répondre à l'exclamation de Aube.