L'HÉRITAGE DES TEMPÊTES Tome 1 La Guérisseuse, L'Érudite Et La Princesse

Aube Chapitre 9

Elle aurait voulu au moins essayer d'utiliser son pouvoir pour soigner son frère, mais Maggy la renvoya en prétextant qu'une guérisseuse, apprentie de surcroît n'était pas fiable quand il s'agissait de soigner un membre de sa propre famille. Livrée à elle-même, elle baissa les yeux sur sa tunique tachée de sang et secoua la tête quand elle constata qu'elle se sentait encore plus sale qu'avant... Soudain, comme tombe la pluie ou éclate la tempête, des larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Elle s'affaissa dans l'herbe rendue boueuse par les pas des hommes et la pluie récente. Au bout d'un temps qui lui avait semblé long, elle perçut un bruit de pas près d'elle.

« Oh Aube ! »

C'était Jude. Elle s'agenouilla près de l'apprentie guérisseuse et la prit dans ses bras. Aube, prisonnière de son accablement, se sentit agressée par cette promiscuité soudaine, puis elle sentit le parfum de son amie et elle s'abandonna dans ses bras, laissant libre cours à ses larmes. Jude la soutint un moment, jusqu'à ce qu'Aube se sente capable d'articuler entre deux sanglots.

« Jude, tout est ma faute.

- De quoi tu parles ? D'où te vient une telle lubie ? Lui demanda Jude, l'air catastrophé.

- Hier soir, en sortant de ton chariot, il y a eu un éclair et puis, et puis... Un hoquet l'interrompit.

- Et puis quoi ? S'impatienta Jude.

- Et puis je l'ai vu ! Acheva Aube dans un gémissement. Je l'ai vu caché dans la forêt, mais l'éclair m'avait aveuglée et je n'ai pas voulu y croire. Si j'avais su ! Quelle idiote je fais !

- Ne dis pas ça ! Tu n'es certainement pas idiote ! La contredit Jude.

- Si je te dis ! J'ai déjeuné avec Darius, Fenli, Ilias, toute la clique ! Non seulement je n'ai pas eu la jugeote de leur mentionner ce foutu Firmament de détail, mais en plus je n'ai rien eu de mieux à faire que de nous emmener toutes les deux droit vers lui ! S'apitoya Aube.

- Alors, premièrement, j'apprécierais que tu daignes te souvenir du fait que la personne qui a proposé d'aller se baigner à rivière n'est autre que mon auguste personne, deuxièmement...

- Jude, ce n'est vraiment pas le moment ! Éclata Aube.

- Et ce n'est pas non plus le moment de t'apitoyer sur ton sort Aube ! On a beaucoup mieux à faire ! » Riposta Jude, sans pitié.

Aube écarquilla les yeux en contemplant Jude sous un nouveau jour. Depuis quand ses joues s'étaient-elles affinées ainsi ? À quel moment son regard avait-il développé cette dureté ? Depuis combien de temps la jeune fille frivole avait-elle cédé sa place à la femme sûre d'elle et de ce qu'elle pouvait accomplir ? Aube se reprocha d'avoir négligé son amie et d'avoir manqué ce changement dans son caractère. Puis elle se reprit, réalisant que c'était précisément son apitoiement qui l'énervait.

« Mieux à faire ? Demanda-t-elle enfin.

- Précisément. Acquiesça Jude. Tout à l'heure tu nous as raconté que tu étais tellement importante pour le royaume, qu'Ilias t'avait confié une bague.

- Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit, mais continue. Répondit Aube.

- Réfléchis ! Soupira Jude. Tu as déjà entendu parler d'un homme qui aie ne serait-ce que tenté d'abattre un Oth sans avoir recours à la magie, et aie survécu pour en parler ? Et j'ajouterais même ceci, avais-tu déjà vu Shiis avec une épée ?

Dire qu'elle se croyait intelligente, en une matinée, Jude lui avait donné l'impression d'être à la fois une enfant, une idiote et une aveugle.

- Non. Jamais, pas même quand nous étions allés lui rendre visite avec Maggy.

- Et puis il apparaît tel un héros de saga pour défaire le monstre en un instant, sans verser une goutte de son propre sang. Récita Jude avec une ferveur légèrement teintée d'ironie. Aube eut envie de glousser, mais elle se sentait trop abattue.

- Il a été très impressionnant. Admit-elle enfin.

- Je pense qu'on pourrait aller lui parler pour tenter d'en savoir plus. » Proposa Jude.

Mais à ce moment une gerbe d'étincelles rouges et or éclatèrent au-dessus du campement qui s'agitait de plus en plus. Darius venait d'ordonner le départ. Aube se dépêcha de rejoindre le chariot des enfants, tandis que Jude ralliait celui qu'elle partageait avec son père.

Les jours suivants s'écoulèrent doucement. Aube passait ses journées et ses soirées avec les enfants, tâchant de les occuper et de se détourner de la blessure d'Hérénam. Le matin, pendant que le camp déjeunait, Aube parvenait à se libérer pour rejoindre Jude et ensemble elles furetaient pour tenter d'apercevoir Shiis qui semblait s'être évaporé. Jude avait évoqué la possibilité qu'elle interroge la vieille Maggy à ce propos, mais Aube avait rejeté l'idée. Elle ignorait pourquoi, mais elle sentait que la guérisseuse n'apprécierait pas ses questions à ce propos. Pour tout dire, Maggy semblait l'éviter. Elle quittait systématiquement son chariot lorsqu'Aube rendait visite à Hérénam, marmonnant dans sa lippe des histoires de conseil du village ou d'herbes à cueillir. La guérisseuse avait fait ce qu'elle pouvait pour soigner la jambe de son frère, mais la lame déjà rompue s'était irrémédiablement brisée contre l'os et d'innombrables éclats s'étaient enfouis dans les muscles et les chairs. La gangrène menaçait et la veille Hérénam lui avait révélé que Maggy envisageait de l'amputer pour sauver ce qui pouvait encore l'être.

« Blessé avant même de m'être battu. Avait gémi Hérénam.

- Ne dis pas de bêtises. Avait riposté Aube. Si tu n'étais pas intervenu, je n'aurais pas donné cher de nous deux.

- Tu as sans doute raison. Avait-il admis en tendant le bras pour tenter de lui ébouriffer les cheveux.

- Je viens de me rendre compte que je ne t'avais même pas remerciée. Avait-elle murmuré en se penchant vers lui.

- Sœur ingrate. Avait-il dit en souriant.

- Bien le bonjour, puis-je entrer ? C'était la voix de Mira. Le regard d'Aube croisa le regard celui de son frère qui rougit légèrement.

- Elle vient tous les jours me... Faire un rapport sur tout ce qui se passe. Avait-il chuchoté à sa sœur qui avait dû se retenir de ne pas éclater de rire.

- Bien entendu ! Je te laisse la place ! » Avait-elle lancé à la jeune fille aux cheveux courts encore habillée de son armure de garde du convoi.

Mira et Hérénam. Aube espérait que la jeune fille saurait détourner son frère de sa pénible situation. Elle était heureuse. Mira était une jeune femme avec la tête sur les épaules, contrairement à Karib qui passait pour le jeune homme le plus inconsistant du village. S'ils en venaient là, elle ferait une bonne épouse pour Hérénam, surtout si celui-ci devait vivre avec une jambe en moins. Perdue dans ses réflexions, elle se n'était pas aperçue que les enfants dont elle avait la charge s'étaient lassés du jeu qu'elle leur avait improvisé avec des cercles tracés à la craie sur le sol du chariot et une poignée de cailloux. Elle soupira et regarda vers l'horizon. D'après ses calculs, ils ne devraient plus tarder à apercevoir les tours élancées de ChateauClair. Peut-être même les apercevraient-ils avant la nuit. Elle décida de se lancer dans une tentative de cours d'histoire à l'attention des enfants.

« On raconte que ChateauClair doit son nom à ses tours d'un blanc immaculé. Vous m'aviez demandé si il s'agit d'un château magique, eh bien vous devez savoir que c'est bien plus que ça. L'édifice entier a été bâti en une journée par le premier duc Réchiavel au cours de la guerre éternelle, bien avant les guerres de l'Hubris. D'après ce que Maggy et Azir m'ont appris, à l'époque, le duché de ChateauClair représentait la totalité des territoires humains. Repoussé jusqu'aux frontières des plateaux ardents, celui qui deviendra plus tard le premier roi de la dynastie des Lorayt demanda à son plus proche conseiller de créer un refuge pour les hommes en déroute. Je ne l'ai jamais vu personnellement, mais on m'a dit que le château et son enceinte sont tellement vastes qu'ils peuvent loger deux-cents villages comme le nôtre.

- Tu ne nous auras pas deux fois de la même manière. Marmonna Ang'. » Aube éclata de rire, les enfants avec elle.