Chapitre 1

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Candice boudait dans sa chambre, enveloppée dans une bulle de musique électronique au rythme saccadé. L'isolation phonique de son territoire personnel était parfaite, la famille ne pouvait pas se plaindre qu'elle perturbait leur sérénité. Elle pouvait faire autant de bruit qu'elle le souhaitait, au risque de détériorer ses récepteurs auditifs et de devenir sourde. Pourtant Candice sentait que sa colère ne s'atténuait pas, bien au contraire, elle enflait par vagues successives en suivant les vibrations aiguës du synthétiseur. 

Candice détestait sa famille! Plus exactement elle détestait les obligations liées à la famille! Question obligation, elle était servie! Visite obligatoire à l'aïeule qui fêtait aujourd'hui ses cent-vingt ans. Une arrière-arrière-grand-mère née bien avant la grande épidémie et qui y avait survécu contrairement aux deux milliards de terriens qui avaient disparu de la planète en l'espace de deux ans, une véritable hécatombe si on en croyait le programme d'histoire, une dévastation sans égale qui avait permis une restructuration des états et l'apparition d'un monde nouveau. Pour avoir réussi à traverser cette époque troublée, l'ancêtre possédait un excellent capital génétique, sa lignée en avait hérité, santé de fer, intelligence supérieure à la moyenne et beauté physique inégalable.

Trop choyée comme beaucoup des enfants de sa génération, Candice était capricieuse et foncièrement égoïste. Elle se moquait bien des autres puisque tout lui réussissait, les meilleures notes en classe, de brillants résultats en sport, elle portait n'importe quel vêtement avec une rare élégance, grande, mince, de longs cheveux blonds, des yeux verts, des yeux de chat disait sa mère. Candice prenait toujours plaisir à s'admirer dans son miroir, matin et soir, elle surveillait son teint, son maquillage, sa coiffure, au lycée comme à la maison, elle devait toujours être parfaite!

Un écran clignota sur le mur face à son lit, un message s'afficha en grosses lettres rouges sur fond noir: « Candice ta présence est obligatoire, départ dans cinq minutes! » L'écran parental était hors de son contrôle, impossible de l'éteindre, ni de le décrocher du mur, elle avait essayé une fois dans un élan de colère, mais une légère décharge électrique l'en avait vivement dissuadé. Appliquant les dernières méthodes éducatives à la mode, ses parents la fliquaient jusque dans sa chambre, mais cela ne s'arrêtait pas là, pour assurer sa sécurité, la puce électronique qu'elle portait sous la peau dans le creux de son avant-bras, la géolocalisait partout dès qu'elle sortait de l'immense maison familiale. L'unique fois où elle avait séché le lycée avec des copains pour boire une bière dans un bar des mauvais quartiers, sa mère l'avait retrouvé en très peu de temps, avant même qu'elle ait pu tremper ses lèvres dans la boisson interdite. Pas d'alcool avant dix-huit ans, la loi était implacable et bien qu'elle fut rusée, Candice n'avait pas réussi à transgresser l'interdit gouvernemental destiné à protéger la jeunesse du pays.

Âgée de seize ans, la jeune fille n'avait pas le choix, elle devait obéir et subir la tyrannie de son clan familial jusqu'à sa majorité. Dans deux ans, elle serait enfin libre et le monde entier lui appartiendrait. Candice rêvait de son avenir qu'elle imaginait prometteur et idéal, tout était planifié, elle ferait quatre ou cinq ans d'études supérieures dans une ville lointaine, puis elle trouverait facilement un poste de dirigeantes, la société nouvelle avait besoin d'éléments brillants comme elle. La famille de Candice fournissait les membres importants de la structure de direction centrale, oncles, tantes, cousins, cousines, frères et sœurs plus âgés, ils avaient tous un rôle important à jouer dans le monde nouveau. Tandis qu'elle, la petite dernière de la tribu, devait obéir et attendre, toujours attendre! En attendant sa majorité, elle devait apprendre à contrôler sa colère et le perpétuel agacement qui l'agitait. 

Le temps pressait, inutile de déclencher la fureur de ses parents par un combat perdu d'avance, mieux valait céder et se rendre à la réunion de famille comme une enfant docile. La jeune fille quitta le lit où elle s'était réfugiée, ajusta ses vêtements, jeta avec coquetterie un regard dans le miroir, puis satisfaite de son image parfaite, elle sortit de sa chambre en affichant un air renfrogné afin de montrer à tous qu'elle était terrassée par l'ennui. Elle lança quelques soupirs bruyants, agacée de constater l'indifférence de ses parents à ses états d'âme, décidément ils étaient vieux et bornés, on ne pouvait rien en tirer!

Le passé est-il parfait ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant