Candice ouvrit les yeux, toussa, cracha et dans un réflexe de survie, arracha le masque qui l'empêchait de respirer librement. Le pilote de la navette la secouait d'une main ferme posée sur son épaule.
- Allez, réveillez-vous!
- Où sont les autres? s'inquiéta la jeune fille en reprenant lentement ses esprits.
- Ils sont déjà sortis.
- Mais...
- Vous partez pour une plongée autonome d'un mois dans le passé, vous devez vous débrouiller seule.
- Ce n'est pas possible, gémit Candice, mon ami devait rester avec moi.
- Vous avez été dispersés sur un même territoire, vos chemins se recouperont peut-être. En tout cas, vous vous retrouverez tous à notre point de ralliement pour le retour au Rocher d'Entrague. N'oubliez pas cette date, le 25 juin, dans un mois. Nous ne pourrons pas vous attendre si vous êtes en retard. La navette bénéficie d'un passage particulier dans la membrane temporelle, elle partira à minuit précise. Ceux qui ne seront pas à bord devront attendre le prochain passage le mois suivant. Avez-vous bien compris?
- Oui, le 25 avant minuit. Mais où se trouve le Rocher d'Entrague?
- Débrouillez-vous toute seule, je ne peux pas vous en dire plus.
- Je vous en prie, expliquez-moi...
Le pilote saisit sa passagère par le bras et l'éjecta sans ménagement de la navette. Candice trébucha et atterrit le nez dans l'herbe. Oubliant ses inutiles protestations, elle s'immobilisa pour découvrir le parterre de fleurs qui l'entouraient. Boutons d'or, marguerites, bleuets, coquelicots, toutes ces plantes qu'elle savait disparues depuis une soixantaine d'années, s'épanouissaient autour d'elle en un bouquet multicolore. Jaune, blanc, bleu, rouge, comme c'était beau, il suffisait de regarder les pétales délicats qui ondulaient dans la prairie pour être emplie d'un bien-être inhabituel.
Candice savait qu'à la disparition des abeilles décimées par les pesticides, beaucoup de plantes avaient disparu de la planète. L'aïeule en avait parlé plusieurs fois lors des réunions de famille sans que jamais l'insouciante jeune fille ne comprenne l'importance de ce désastre écologique. Regrettant les moqueries qu'elle avait proférées, Candice ne se lassait pas d'admirer les fleurs qu'elle n'avait vu jusqu'alors qu'en image de synthèse. Elle n'avait jamais imaginé qu'une simple petite fleur délicate pouvait être aussi sophistiquée, les pétales des coquelicots étaient soyeux au toucher, ceux du bleuet étaient finement ciselés, le bouton d'or lumineux comme un soleil et la marguerite donnait envie de parler d'amour.
La jeune fille pensait à Sylvain, à son sourire, elle avait envie de réciter la comptine que l'arrière-grand-mère lui avait chanté un jour lorsqu'elle était toute petite. « Je t'aime, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout ». Effeuiller la marguerite était un jeu auquel les petites filles du temps passé adoraient jouer. Il suffisait d'arracher les pétales blancs les uns après les autres en espérant que le dernier envolé ne tombe pas sur un désolant « pas du tout ». On se distrayait de pas grand chose à cette époque, mais était-on plus malheureux pour autant? L'homme au cours des siècles n'avait fait que s'inventer des besoins souvent inutiles au dépriment de sa planète. Comme c'était triste un monde sans fleur, Candice venait de le réaliser le visage enfoui dans les boutons d'or, les marguerites, les coquelicots et les bleuets retrouvés.
Son attention fut bientôt attirée par un bourdonnement inhabituel, une abeille tourbillonnait dans l'air, voletant de fleur en fleur, les pattes chargées de pollen doré. Un animal minuscule tellement indispensable que sans son incessant travail, les plantes ne se reproduisaient plus. Un insecte dont la disparition planétaire avait entrainé une catastrophe sans précédent.
Une mouche tourbillonnait autour de la jeune fille, une mouche très agaçante qui se collait sur sa peau, noire et velue, la première mouche qu'elle voyait de sa vie. Entre les herbes de la prairie, elle découvrit un scarabée vert, une coccinelle rouge ponctuée de points noirs, une chenille jaune, et un magnifique papillon multicolore. Ce monde étrange et fascinant des insectes était un monde disparu qu'elle n'aurait jamais connu sans cette expédition involontaire dans le passé.
Candice tourna la tête à droite, à gauche, surprise de ne plus voir la navette dont elle avait été expulsée quelques minutes plus tôt. L'énorme appareil avait disparu du paysage sans émettre le moindre bruit, ni laisser la moindre trace de son passage. L'herbe de la prairie où il s'était posé, n'était pas écrasé, ni roussie. Rien ne révélait son passage dans le temps. Comment un tel phénomène était-il possible? Candice possédait de bonnes bases en physique et en mathématiques, et pourtant elle ne s'expliquait pas un pareil miracle. Aucun de ses professeurs ne lui avait jamais parlé d'une possibilité de passage dans le temps. Un corps vivant ne pouvait pas se matérialiser à deux endroits distincts, encore moins à deux époques différentes. Et pourtant la jeune fille ne rêvait pas, au milieu d'une prairie en fleurs, elle avait obligatoirement changé de monde.
Frappée en pleine face par cette terrible réalité, Candice se releva, empêtrée dans ce jupon qu'elle n'avait pas l'habitude de porter. Dans quelle direction devait-elle se diriger pour trouver un village? Les habitants seraient-ils prêts à l'aider alors qu'elle ne les connaissait pas? Comment allait-elle survivre seule dans une époque dont elle ignorait les usages?
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Le passé est-il parfait ?
AvventuraDans un monde futuriste, le gouvernement instaure une nouvelle peine pour les jeune délinquants, les renvoyer dans le passé, en 1788, peu avant la Révolution Française.