Chapitre 1

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L'obscurité de cette nuit sans lune était épaisse et des rires ainsi que la musique d'un orchestre s'échappaient avec allégresse de l'imposante demeure.
Elle appartenait à un noble quelconque d'Orquia.
À l'occasion de cette fête qu'on organisait, la sécurité avait été doublée et les gardes effectuaient des rondes régulièrement. C'était le cas de Dékar, un jeune soldat qui avait accepté cet emploi pour la somme qu'on lui avait promise.
Soudainement, il se figea. Il avait cru apercevoir une ombre sur le mur d'enceinte ceignant le jardin. La main sur le pommeau de son épée, il examina les environs, s'éclairant de sa lanterne mais il ne remarqua rien de suspect. Ce ne devait qu'être un effet de son imagination ou les branches d'un arbre agitées par le vent.
Tout à son inspection, il ne vit pas deux silhouettes sauter souplement depuis le mur à plusieurs mètres de lui. L'une des deux personnes se permit même d'adresser une grimace dans le dos du garde avant de rejoindre son comparse.
Se déplaçant furtivement d'un point d'obscurité intense à un buisson de fleurs, ils s'approchèrent de la demeure aux fenêtres brillamment éclairées.
L'un des deux intrus, le plus fluet, s'arrêta devant une fontaine de marbre vert représentant une procession de poissons ailés sur une vague. L'individu se demandait qui pouvait apprécier ce genre de choses aussi laides et qui pouvait bien les acheter mais surtout, il s'interrogeait sur le bon goût des nobles.
Son comparse revint vers lui et le tira par le bras pour le forcer à se remettre en route.
Ils coururent jusqu'à la façade à pas silencieux.
Là, ils se séparèrent. Le premier, celui qui n'avait pas examiné la fontaine, contourna la demeure en rampant au sol pour éviter que la lumière sortant des fenêtres ne l'éclaire. Les épines des rosiers poussant contre les murs lui entaillèrent les mains.
Il continua jusqu'à la porte desservant les cuisines et un juron franchit ses lèvres lorsqu'il constata qu'il y avait trois gardes postés devant. Il ne s'attendait pas à tant de précautions. Il fit demi-tour et se glissa à nouveau entre les roses tout en réfléchissant à comment s'introduire dans la bâtisse.
Au même instant, son comparse escaladait la glycine grimpant sur la façade à la faveur de l'ombre.
Un garde passa à côté de lui et il s'aplatit encore davantage sans bouger et attendit avant de reprendre sa progression.
Il arriva sous une fenêtre par laquelle ne s'échappaient pas tous les sons de la fête. Avec prudence, l'homme se releva et glissa un œil à l'intérieur.
De l'autre côté de la vitre s'étendait un couloir au sol recouvert d'un long tapis rouge et aux murs garnis de tableaux plus laids les uns que les autres. Un domestique se tenait à côté d'un guéridon où était posé un plateau de verres en cristal emplis d'un vin aux reflets dorés. Le domestique buvait en surveillant les alentours. Apparemment, il n'avait pas la permission de déguster le couteux breuvage et avait profité de l'agitation pour en voler quelques gorgées.
Décidant de tenter le tout pour le tout, l'intrus cogna contre le carreau de la fenêtre. Le domestique sursauta et renversa une partie de son verre sur son vêtement.
Intrigué, il vint ouvrir la fenêtre à guillotine. L'intrus se glissa par l'ouverture et donna une tape amicale sur l'épaule du domestique en lui disant avec le ton le plus naturel qui soit :

« Merci. Je me suis offert une petite pause non autorisée. Si tu ne racontes rien au patron, je garderais ma langue pour le vin
- Bah, euh...d'accord.

Accepta le domestique avant de se raviser.
Il détailla celui qui se prétendait comme son collègue, les sourcils froncés. Premièrement, il n'avait jamais vu cet homme aux cheveux roux et au visage évoquant quelque peu celui d'un chat. Sans compter que sa carrure musclée tout en restant svelte n'avait rien de celle d'un servant mais plutôt d'un combattant. Certes, il y avait de nombreuses personnes qui travaillaient dans la demeure et il ne pouvait pas toutes les connaître mais celui lui faisant face avait un regard difficile à oublier : couleur noisette à la pupille cerclée de vert. Aucun doute, si le domestique l'avait déjà croisé, il s'en serait souvenu.
Sentant que l'autre avait compris qu'il n'avait rien à faire ici et qu'il s'apprêtait à donner l'alerte, le rouquin s'empara d'un chandelier avec une impressionnante rapidité et il en asséna un violent coup sur le crâne du serviteur qui chuta, assommé. L'intrus vérifia qu'il était toujours en vie, ce qui s'avéra être effectivement le cas. Il aurait une belle bosse doublée d'une migraine mais rien de plus grave.
Le rouquin le saisit sous les aisselles et le traîna sur le tapis.
En passant devant, il prit l'un des verres posés sur le plateau et goûta une lampée de vin. Il émit un claquement de langue appréciateur. Il comprenait mieux pourquoi le domestique s'était dissimulé pour savourer la boisson volée.
Le rouquin reposa la coupe de cristal et tira le serviteur jusqu'à la première porte se présentant à lui. Il l'ouvrit et abandonna le domestique dans la pièce.
Cet incident étant clos, il se concentra totalement sur la tâche qu'il venait accomplir dans cette demeure. Il n'était pas entré par le passage prévu mais ils avaient tellement examiné et observé la maison qu'il savait parfaitement où il se situait.
Sans hésiter, il emprunta un autre couloir partant vers la droite. Des bougies piquées sur des chandeliers éclairaient le corridor à intervalle régulier, produisant suffisamment de lumière pour que le rouquin ne se sente pas à son aise.
Pressant le pas, il trouva les escaliers qu'il gravit. Le premier étage était plongé dans l'obscurité. Il stoppa et attendit que son regard s'habitue aux ténèbres puis il reprit sa marche en comptant les portes perçant le mur à sa gauche.
Lorsqu'il arriva à la huitième, il sortit un fin crochet de fer de l'une des nombreuses poches fixées à sa double ceinture et l'introduisit dans la serrure. Il agita au hasard la tige métallique, ne souhaitant pas prendre le risque d'allumer une chandelle.
Il ne sut pas comment il fit mais un cliquetis se fit entendre et la porte s'ouvrit. Un sourire de satisfaction étira les lèvres du rouquin.
Ce dernier se retourna et examina le couloir à la recherche d'un signe de la présence de son acolyte mais celui-ci restait invisible. Peut-être avait-elle rencontré quelques difficultés. Le rouquin haussa les épaules sans s'inquiéter davantage. Elle savait se défendre, sûrement mieux que lui.
Il entra dans ce qui était une grande pièce luxueuse. Là, il fut bien forcé de s'éclairer. Une autre de ses poches recelait un morceau de chandelle ainsi que son briquet à amadou. La lueur révéla une imposante armoire en ébène et trois fauteuils aux coussins moelleux recouverts de brocart.
Le rouquin ne se préoccupa pas du riche mobilier et examina le mur ouest en y promenant rigoureusement les doigts.
Il entendit un bruit de pas provenant du couloir. Il s'immobilisa en portant la main à l'une de ses dagues passées, elles aussi, à sa ceinture. Ce ne pouvait être sa comparse. Elle se déplaçait trop silencieusement.
Lame au clair, il s'approcha de la porte qu'il avait refermée. À peine fut-il à quelques centimètres du battant qu'il s'ouvrit violemment, le percutant de plein fouet.
Il tituba en arrière en se tenant le nez sur lequel le bois s'était écrasé alors qu'une dizaine de gardes entrait, épées aux poings.
Le rouquin brandit deux dagues, prêt au combat. N'importe qui de normal se serait rendu sans discuter mais il ne craignait pas les défis et il avait toujours l'espoir que son acolyte arrive. Les gardes se mirent en position en une parfait synchronisation. Ils n'étaient pas de simples citadins sachant tenir une lame spécialement engagés pour l'occasion mais de véritables combattants.
Celui venant en tête fit un pas, la pointe de son arme dirigée sur la poitrine de l'intrus. Il ouvrit la bouche pour parler mais aucun son ne franchit ses lèvres.
Tous les hommes se figèrent, excepté le rouquin qui regardait les gardes d'un air hébété. Il essuya le sang coulant de son nez et contourna le groupe d'hommes en les observant à la recherche d'une explication sur ce qu'il s'était produit.
Il l'obtint en entendant une voix féminine s'élever depuis le couloir :

Chroniques d'une Mercenaire - Tome 4 : Par-delà la Mer [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant