Outlander - Le chardon et le tartan

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Outlander - Le chardon et le tartan (Diana Gabaldon), 1991

Ce roman est le premier tome d'une saga mi fantastique mi historique, ou peut-être inclassable en ce qu'elle est finalement plutôt une romance. À la fin de la deuxième guerre mondiale, une infirmière anglaise prend des vacances en Écosse et « passe les pierres », c'est à dire qu'elle se retrouve, par une force supérieure et magique, deux siècle plus tôt.
Ce personnage principal, Claire Randall, dotée d'une forte personnalité, est une héroïne typique des fictions américaines, une recette à succès en quelque sorte, comme Michaela Quinn, femme qui fut mon « idole » lorsque j'étais adolescente. Une femme qui fait fi des conventions et des usages à une époque où ses semblables ne sont que des femmes décoratives ou domestiques. Naturellement, l'écrivaine est américaine : Claire, comme Michaela Quinn, sont de fortes têtes, des femmes savantes qui convoitent des fonctions masculines, qui travaillent comme des hommes, néanmoins elle reprennent leurs places de femmes fragiles et prudes dans leurs rapports sentimentaux. On peut bien vouloir devenir médecin ou partir en guerre, mais de là à prétendre à des mœurs légères ou à une liberté sexuelle ...
L'ensemble est assez mièvre tout en répondant aux fantasmes féminins courants. L'homme est fort, grand, protecteur mais assez rude et rustre sexuellement, toutefois cultivé et intelligent, doux et amoureux mais quand même très  viril, bestial jusqu'à « punir » sa femme de coups de ceinture sur le cul. Et c'est là toute l'hypocrisie de ces romans américains. C'est sans doute très mal de fouetter un peu le cul de son amante contre son gré, mais suffisamment émoustillant pour que la scène soit décrite jusqu'au détail. Et si Claire se rebiffe un peu, elle oublie bien vite cet « incident ». Après tout, elle l'aime follement et il baise bien. C'est d'ailleurs dommage qu'il faille l'excuse des mœurs des highlanders d'il y trois siècles pour oser une scène de domination sexuelle.
Lorsque l'héroïne traverse les pierres, on s'attend légitimement à plonger avec elle dans l'Ecosse du dix-huitième mais on réalise bien vite que l'on tombe plutôt dans une romance historico-érotique, où les deux amants baisent même lorsque leur vie est menacée. C'est d'ailleurs admirable, cette façon de penser au sexe quand on est sur le point de se faire assassiner. Admirable ou ... peu plausible. Tout semble tiré du cliché : l'homme si fort qu'il parait immortel, ultra protecteur et loyal, gentleman invincible et excellent amant, mais quand même suffisamment viril et brut, affolant au lit. On est clairement sur de la romance pure, finalement. Une romance dans les Highlands au dix-huitième siècle, entre un Highlander - un lord, pas un paysan ! - et une infirmière née deux siècles après lui. Le reste n'est qu'un décor maladroit à une histoire d'amour, à en juger par les nombreux anachronismes et approximations historiques (une chasse aux sorcières avec plusieurs siècles de retard notamment).
La psychologie est peu subtile, tant que c'en est agaçant. Elle se limite souvent à une sorte de « Show don't tell » qui vaut encore mieux que lorsque l'auteure tente de livrer les pensées intérieures des personnages : alors qu'elle risque d'être brûlée vive à l'issue de son procès pour sorcellerie, les pensées de Claire sont à la plaisanterie. Il n'y a pas une once d'angoisse ni de panique, pas plus que de révolte intérieure. Les introspections sont complètement ratées, rien ne sonne vraisemblable. C'est que, même dans un roman fantastique, un lecteur exigeant attend de la plausibilité, au moins psychologique.
Le tout dans style plat, et parfois même maladroit. Pas d'intelligence ni de fulgurances. La belle infirmière traverse des pierres magiques, remonte le temps, se fait enlever par des Highlanders grossiers et brutaux, mais qui ont du cœur (!), et elle ne se sent nullement chamboulée.
Même en tant qu'infirmière, Claire est à peine crédible, pas plus qu'en femme qui remonte le temps. Elle se réveille deux-cent ans plus tôt et elle n'est ni révoltée, ni désespérée ni dépaysée : les écossais du 18ème s'expriment dans un anglais parfait, et elle s'adapte aux coutumes et vêtements d'époque sans en être même moindrement importunée.
C'est un divertissement pur, donc. On ouvre le livre, on se laisse aller à accepter toutes ces incohérences et facilités ( Claire Randall, d'ailleurs, se retrouve nez à nez, et dès sa remontée dans le temps, avec l'ancêtre de son époux, lequel ressemble au mari à s'y méprendre) au profit d'un moment d'abandon et de paresse comme devant une série télé, et on le referme en s'étant simplement distrait, en n'ayant rien appris et en l'oubliant bien vite. À moins d'avoir le goût des mièvreries et de continuer à se laisser bercer par cette histoire d'amour chimérique à la façon d'un enfant qui voudrait vivre à Poudlard ou dans le château de la reine des neiges...
Cette saga a eu un grand succès, jusqu'à faire l'objet d'une série mondialement prisée. Il est donc une multitude (de femmes ?) que cela fait rêver. Elles s'évadent ainsi, sans doute, se figurent faibles et fortes à la fois, et dans les bras d'un homme puissant et tendre à la fois, qui leur assurera une protection indéfectible mais qui saura les brutaliser un peu quand même dans l'intimité. C'est compréhensible, d'une certaine manière. Fuyant un quotidien morne, on se berce de légendes et de ce qui tient du proverbe. On vit une passion amoureuse houleuse par procuration. Pour ma part, j'ai été plus fascinée par l'amour entre Anne Pingeot et Mitterand, en ce qu'il est plus réaliste d'abord, mais également bien plus élevé.
J'avais ouvert ce roman dans l'espoir d'y étudier la façon d'écrire américaine, qui me paraît spécifique en ce que l'intrigue est souvent relativement bien ficelée. Je n'en n'avais pas d'autres attentes que celles de l'étude, au juste, ni d'a priori négatif d'ailleurs, même s'il est vrai que je me défie, par expérience, des œuvres à large succès. Je n'ai pas pu observer quoi que ce soit de bien mené, de pertinent, de prenant. Non, c'était un mauvais choix, j'aurais dû relire un roman de Paul Auster pour cela. J'ai donc acheté « Écriture » de Stephen King, qui répondra sans doute mieux à mes questions que ces romans de pure distraction.
Et n'arguez pas, pour me contredire, que cette saga s'est venue à des millions d'exemplaires. Non seulement je m'en moque, mais c'est peut-être même encore pire : c'est généralement , pour moi, l'inverse d'un gage de qualité.

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