Écriture, mémoires d'un métier (Stephen King)

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Le livre est divisé en deux partie : une autobiographie d'abord puis des conseils d'écriture, bien que l'autobiographie garde pour fil conducteur... l'écriture. C'est donc plutôt la genèse d'un écrivain, et ensuite ses recettes  pour écrire un roman de qualité.
Si l'autobiographie n'a rien d'extraordinaire (et c'est tant mieux, en ce que cela contribue à briser le mythe de l'écrivain appelé par je ne sais quelle force divine), les conseils d'écriture sont plus intéressants et donnent plus matière à réflexion qu'un récit de vie, somme toute assez banale. On y apprend que Stephen King a écrit très tôt, ça oui, qu'il a fait un mariage d'amour avec une femme qui a toujours été sa première admiratrice, ce qui n'a rien d'original, non pas de le vivre (ça, c'est sans doute extrêmement rare, un partenaire qui admire et soutient sans faille), mais de le prétendre. Combien d'hommes célèbres et accomplis n'ont pas accordé une part de leur mérite à leur épouse, qu'elle les ait soutenus ou non d'ailleurs, par proverbe et pour ne pas la froisser, tout comme pour raconter sa légende de couple idéal ? N'importe, on ne saura pas dans quelle mesure Tabitha a créé l'écrivain à succès, on ne peut faire autrement que de croire cette version un peu mièvre et commune que nous livre l'auteur. King a donc mené une existence toute normale, avec femme, enfants et jobs alimentaires avant que le succès n'advienne. Vie « normale », si ce n'est une dépendance à l'alcool et à la drogue ainsi qu'à la nicotine, dont il a longtemps pensé qu'elle facilitait l'inspiration, en ce qu'elle stimulerait le cerveau. Il a eu tort : c'est plutôt le manque qui rend imbécile, de sorte qu'en satisfaisant ce manque, on retrouve simplement ses facultés normales. C'est comme la caféine : le consommateur se figure qu'elle augmente ses capacités intellectuelles tandis qu'elle pallie à peine un manque de sommeil.
Cette première partie autobiographique ne mérite pas que l'on s'y attarde plus à mon avis. C'est un récit de vie, de vie banale si ce n'est ces heures d'écriture acharnée. Je n'en suis pas déçue : il faut être bien naïf ou romantique pour se figurer qu'un écrivain comme King a nécessairement vécu une vie hors normes et riche en rebondissements. C'est mal connaître le travail d'un écrivain : il est clair qu'il a passé une grosse part de son existence seul, assis à son bureau, à travailler à ses œuvres. Néanmoins, c'est bien qu'il l'ait écrit, et pour cette raison justement : afin que les gens puissent avoir une image plus réaliste de l'écriture et mieux se représenter le temps et les sacrifices que cet art exige.
La deuxième partie est hautement intéressante et nécessite une vraie réflexion ou discussion. L'un des premiers préceptes de King est d'écrire d'abord pour soi, et je suis d'accord tant que « pour soi » ne veut pas dire « pour se divertir » mais qu'il s'oppose au fait d'écrire pour les autres, de répondre à la demande d'une majorité. En quoi écrire pour soi revient à : écrire pour s'estimer soi-même, pour se sentir une valeur, pour le plaisir de se relire et de mesurer ses effets et ses progrès. Viennent des conseils très pragmatiques, tels que le fait d'éviter la voix passive ou les adverbes sans pour autant se focaliser sur une forme grammaticale impeccable. Un auteur n'est pas un grammairien, et parfois la meilleure façon d'exprimer une pensée le plus précisément possible passe par une infraction grammaticale, ou même une invention de mot. C'est très juste. Je me souviens de certaines discussions animées que j'ai eues avec le correcteur des Féaux, correcteur méticuleux mais qui est plus grammairien qu'artiste, au sujet de ce qu'il nommait, et avec une certaine condescendance, la « licence poétique » de mes auteurs. S'il est un excellent correcteur, vigilant et pointilleux, son esprit se ferme radicalement à toute forme non conventionnelle, même si celle-ci est un apport au récit, un effet magistral et pertinent. Non, l'artiste, l'écrivain, ne doit pas écrire comme un collégien s'adonnerait à des exercices d'application de règles obtuses, surtout si elles desservent la transmission de sa pensée. Il doit être télépathe - pour reprendre l'expression de King-, c'est à dire qu'il doit avant tout réussir une transmission de pensée de la manière la plus fidèle possible. Le lecteur doit voir précisément ce que l'auteur a voulu dire, et parfois une règle formelle devient une gêne, brouille le message et le dénature.
Comment se former en tant qu'écrivain ? Certainement pas en suivant des stages et autres ateliers d'écriture : une perte de temps. On se congratule entre soi, et si c'est plaisant, on n'y apprend rien, on n'y progresse jamais. Non, écrire la porte fermée plutôt, seul, c'est ainsi que l'on se forme. L'écriture est un travail solitaire, et qui ne s'apprend que seul. J'avais en tête que les écrivains  américains se formaient surtout en suivant des cours. C'est juste, mais King méprise cette façon d'apprentissage en groupe qui ne délivre que de préceptes généraux. Il a appris seul, par la lecture et par l'effort, et c'est sans doute en effet la meilleure façon.
Pour bien écrire, surtout, il faut lire. Et même (surtout) de mauvais livres, en y repérant méticuleusement ce qui « ne va pas ». Un individu désirant devenir écrivain mais qui n'aurait pas le temps de lire peut renoncer sur-le-champ : s'il n'a pas le temps de lire, il ne l'aura pas pour écrire. Pour écrire sincèrement, c'est à dire pour écrire « vrai » et en dehors des proverbes, il ne faut pas craindre de choquer. Un auteur qui s'inquiéterait de perdre des amis ou des lecteurs n'écrira pas de vérités, c'est ainsi. Être un véritable écrivain, c'est ne pas craindre le regard accusateur ni la réprimande de ceux qui préfèrent lire un bon  vieux mensonge. En somme, un écrivain n'a que peu d'amis. Écrire, c'est aussi s'abstenir d'allumer la télévision, renoncer aux distractions faciles et non inspirantes, mangeuses de temps et qui vautrent celui qui s'y laisse prendre dans un grand désœuvrement. Toute source de distraction vaine doit être éloignée : le téléphone, les jeux vidéos. L'inspiration n'existe pas, ou l'inspiration c'est : s'asseoir devant son clavier, et écrire, travailler, se forcer. Rien de divin là-dedans.
Ma liste des conseils prodigués n'est pas exhaustive, je ne les ai pas tous relevés parce que beaucoup sont évidents. Si ces conseils sont dans l'ensemble pleins de bon sens, je reste  sceptique sur certains points. Stephen King, s'il n'écrit pas pour les autres, en ce qu'il ne se pose pas la question d'un futur échec ou succès, n'écrit pas tout à fait pour lui. Il a un « lecteur idéal ». Il écrit chaque mot, chaque phrase pour quelqu'un, une personne précise, un lecteur qu'il sait attentif et sévère (souvent sa femme). Et l'un de ses conseils est d'écrire toujours en pensant à ce lecteur méticuleux et redoutable qui ne laissera rien passer, qu'il s'agisse d'un maître que l'on admire ou d'un lecteur exigeant de son entourage. Si c'est ma propre manière de faire, je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure. C'est la mienne parce que je doute beaucoup, parce que je peine à me juger, parce que je manque d'assurance et que je me sais insuffisante. C'est en somme la méthode des écrivains un peu faiblards dont je suis, qui ont besoin, même en esprit, d'un repère extérieur. J'imagine plutôt qu'un grand écrivain est sa propre boussole, qu'il est lui-même son propre lecteur idéal. Et paradoxalement, King écrit « la magie est en vous », précepte qui n'a de sens que si l'on entend par là « il faut se faire confiance ». Et encore :  cela sous-entend presque que l'écriture est un don, qu'il suffirait de s'écouter pour bien écrire. Non, écrire demande du travail, et trop de confiance peut nuire. Il est nécessaire de se méfier de soi, de ne pas se faire une confiance aveugle. De même, les « trois mois » (pas plus !) qu'il recommande pour terminer le premier brouillon d'un roman m'ont étonnée. Il me semble que l'on a terminé... quand on estime avoir produit le meilleur, et non pas au bout de trois mois maximum. Le fait de ne travailler qu'un seul projet à la fois est discutable aussi, dans la mesure où King entend par là qu'aucun autre écrit ne doit être réalisé pendant la création d'un roman, pas même un résumé d'une page (donc pas non plus de critique de livre, logiquement). Cependant, Steinbeck procédait ainsi également, et je songe que c'est peut-être plus une sorte de frénésie, de volonté farouche de terminer son œuvre et de s'y consacrer entièrement jusqu'à l'achèvement.
Plus surprenant encore : « tuez vos personnages préférés », conseil répété à trois reprises (c'est donc qu'il y tient)  et qui  m'a frustrée. Pourquoi donc les tuer ? King ne répond pas à cette question, ce qui est dommage et aussi une faiblesse de sa part : si ce précepte est évident pour lui, il ne l'est pas forcément pour le lecteur. J'aurais aimé une explication, un argumentaire à ce sujet, plutôt que cette phrase lancée de manière arbitraire. De la même façon, j'aurais aimé - et j'attendais - plus de conseils au sujet du style, de la forme, plutôt que ce genre de consignes certes souvent pertinentes mais assez évidentes.
Enfin, s'il est un secret d'écriture, ou plutôt deux, pour lui, ce sont les suivants : rester en bonne santé et rester marié. Cela paraît simpliste, anodin, mièvre peut-être. Pourtant c'est d'un pragmatisme et d'une logique implacables. S'il est évident que garder la santé permet de mieux écrire (King marche plusieurs heures chaque jour pour se maintenir en bonne condition physique), il est incontestable que la vie maritale peut le permettre également, en ce qu'elle offre le temps nécessaire à la création. King, plutôt que d'écrire « rester marié » aurait dû écrire « avoir quelqu'un qui gère le quotidien, qui absorbe les préoccupations domestiques, qui filtre les appels et invitations, et qui s'occupe des enfants ». En ce sens, alors oui, c'est très juste. Les deux plus grands secrets pour écrire beaucoup - quand on a déjà la volonté d'écrire, et d'écrire bien - sont peut-être de rester en bonne santé et de rester marié. À noter qu'il est  plus facile pour une épouse d'être facilitatrice quand les écrits de son mari rapportent des millions de dollars. Là oui, cela relativise le « sacrifice » quotidien sans doute. N'importe quelle femme qui reproche à son conjoint son temps passé à écrire se tairait soudain s'ils devenaient millionnaires grâce à cette « lubie » et deviendrait sans doute sa plus fervente admiratrice. Et c'est assez moche si cette dernière le méprisait et boudait ses écrits avant le succès, j'y vois un parallèle avec les résistants de la dernière heure. Mais j'extrapole : King prétend que son épouse a toujours cru en lui, et ce bien avant qu'il soit publié.
Stephen King évoque aussi l'écriture comme un ingrédient du bonheur. Ne pas s'y tromper : il ne s'agit pas du bonheur béat de l'homme qui écrit en dilettante parce que ça le rend bêtement heureux de se livrer à une « passion » (il est un acharné de travail), ni du confort financier que lui a procuré l'écriture. Il entend par là qu'écrire a été son équilibre et que produire de l'art est pour lui tout aussi important que le fait de boire ou de se nourrir.

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