Trembler (Catherine Laborde)

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« Je suis fini » écrivit Maupassant dans un bref moment de lucidité, sur la fin. Nietzsche et Montaigne (j'y reviendrai justement) ont aussi écrit leurs souffrances.
L'auteur aussi semble finie. Ancienne femme météo, cultivée et déjà auteur d'auto fiction par le passé (« La douce joie d'être trompée », témoignage pas mauvais - bien que peu littéraire - en ce qu'il remettait totalement et délicieusement en cause la morale commune sur la fidélité dans le couple), Catherine Laborde doit à présent subir une étape inattendue : la perte lente et angoissante de ses fonctions cognitives et motrices. Elle est alors encore assez lucide pour s'épier, s'étudier, s'analyser et s'observer se décrépir doucement, comme une pente douce mais régulière, inexorable.
Très tôt elle précise que son éditeur lui a demandé de ne pas trop parler de la mort pour ne pas effrayer le lecteur. Peut-être également de ne pas dire totalement l'angoisse, l'agacement, la peur, la colère, le sentiment d'injustice. Voilà comment le tout est biaisé avant même le commencement. C'est donc une sorte de commande, un livre écrit non de manière parfaitement spontanée, du moins fort personnelle : on lui a donné des « conseils » (instructions, obligations, interdictions). C'est épuré, lavé du surplus de sincérités au gel hydroalcoolique. Tout est biaisé dès le démarrage. Alors comment prendre ce ton léger, ces pointes d'humour, cette autodérision ? Sincérité ou édulcoration ?
C'est environ propre à défaut d'être vrai. Propre à défaut d'être de la littérature. On sent la femme instruite et qui sait faire de jolies tournures et s'exprimer par écrit. Pas plus ni moins. Le tout est certes élégant, soigné, propret. Comme un bon devoir, décoré de coquetteries faciles. N'est-ce pas un bon devoir, au fond ? Une copie à rendre à son éditeur ?
Ça n'est pas de la littérature, c'est à peine un témoignage non plus en ce qu'il est corrompu par l'éditeur comme je l'ai dit. Une auto fiction encore ?
Pas trop de pathos cependant. Et même : ce serait presque un élan de vie (insincère ?), un « feel good ». Aucun style donc, à part cette sorte d'élégance mondaine, ces références à Montaigne qui l'aide dans les moments où elle défaille (s'appuyer sur Montaigne et écrire ... ça ?). D'ailleurs elle visite la maison de Montaigne. N'a-t-on pas mieux à faire lorsqu'il nous reste si peu de temps avant de s'accomplir, avant d'écrire ses dernières lignes en toute lucidité et maîtrise de l'usage de ses mains ? Quelle étrangeté ! C'est environ une autre mondanité cette visite. D'ailleurs elle le reconnaît à peu près, se trouve assez ridicule de se sentir plus en phase avec lui sur ses terres.
Peu de littérature, pas non plus de genre littéraire défini ni de réelle franchise. Que reste-t-il alors ? Presque rien. C'est un vide. Un journal d'une sorte de néant. La petite histoire toute banale d'une femme intelligente atteinte d'une maladie dégénérative et qui raconte l'annonce, le deuil de sa santé, son quotidien de malade, et qui crie presque à la joie de vivre finalement. Sur commande.
Parfois, malgré tout, de beaux élans. Premièrement cette discipline d'écriture quotidienne, qui devient de plus en plus dure à tenir. Écrire quoi qu'il en coûte.
Mais écrire pour qui et pour quoi ? Même la description des symptômes n'est pas précise, même ses conversations avec les médecins ne sont pas tant mentionnées, ou alors bâclées. Quel intérêt d'écrire un livre sur une maladie sans creuser méticuleusement, sans regarder la maladie sous tous ses aspects ? Non, on tourne en rond, autour d'anecdotes et de vagues sentiments épurés, de situations cocasses et de ton léger. On tourne autour d'elle sans entrer vraiment dans le cœur de ce qui aurait été intéressant. C'est comme un carrousel : c'est à peu près beau mais ça n'a pas de but, pas de ligne de départ ou d'arrivée. Et c'est vite ennuyant à regarder.

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