Poison et Antidote (Nataneli)

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Ah, que c'est difficile de commenter le livre d'une personne que l'on connaît, qui est presque devenue une amie au fil des conversations. Évidemment, je sais déjà les sujets qui nous divisent et je sais qu'elle aussi. Cependant, j'ai toujours cette impression de dureté à critiquer l'œuvre de quelqu'un que j'apprécie assez. Cela m'est, je le jure, un déchirement. Et cependant l'intégrité l'emporte toujours. Je ne saurais écrire ce que je ne pense pas. Et je sais à présent que si quelqu'un prenait ce que j'écris comme une attaque personnelle ou comme une cruelle injustice, eh bien ce serait lui le problème, et non pas moi. Enfin, ce ne sera pas le cas cette fois. Je suppose Nataneli assez élevée pour cela.
Poison et Antidote est une œuvre environ inclassable, ce qui est tout à fait cohérent, en ce que son auteure n'aime visiblement pas les cases, et cependant elle précise en sous-titre : « Vulgarisation poétique du Tout à l'égo ». Mi essai, mi recueil de poèmes, l'ouvrage invite chacun à réfléchir à sa condition d'homme, à sa responsabilité personnelle dans le devenir de la société, à son implication propre et à ses devoirs envers lui-même ainsi qu'envers son humanité.
Comment donc ? L'intégrité d'abord, et je rejoins l'auteure évidemment. Tout comme le fait de ne pas participer à cet étalage géant d'une multitude de vies privées étalées sur la toile, où chacun ne se sent important qu'en vomissant ses petits traumatismes pour être quelqu'un, et en l'occurrence quelqu'un à plaindre plutôt qu'à admirer. Chacun veut s'épancher, revendiquer sa singularité, et cependant il s'étale de la même manière que son contemporain, et ses effusions deviennent ce qu'il y a de plus commun et de moins noble au monde. « Je suis quelqu'un parce que je me raconte, parce que je me figure que ma petite histoire individuelle a la même importance que tant d'autres, parce qu'elle me définit et m'empêche d'être le néant, parce que je ne sais me distinguer par mes qualités, par mes efforts et par mes capacités ». Le contemporain ne sait plus mériter le respect, n'est même plus en capacité d'élire ni de savoir comment s'élever. C'est tout naturellement qu'il va donc exiger un respect non plus au mérite, mais comme un droit inaliénable.
De même, et l'auteure le soulève très justement, tous ces livres de développement personnel qui se vendent, qui foisonnent et font recette sont un symptôme de cette décadence : le besoin de se sentir important, d'être guidé et confirmé dans une « estime de soi », dans un amour pour soi qui n'a pas à se mériter.
Bien que la façon de les présenter diffère d'un essai classique, les idées de Nataneli sont généralement profondément justes pour la plupart. Elle dresse d'abord un constat, une peinture de la société contemporaine et du contemporain, rappelle à quel point la médisance, la facilité, la bêtise, la méchanceté infondée sont autant de vices qui entravent l'élévation personnelle et, indirectement, l'élévation collective. Elle est fine observatrice : elle a parfaitement su décrire ce contemporain futile, vain, égoïste mais de cet égoïsme qui fait régresser : celui qui affiche de manière impudique ses chimères pour se sentir une importance, pour « être quelqu'un », celui qui n'aura  jamais l'humilité de reconnaître qu'il a eu tort ou qu'il ne sait pas, qui le vivra comme une humiliation, comme un terrible affront, comme la preuve d'une faiblesse. L'auteure évoque aussi le fait de justifier, d'excuser même, tous ses comportements, toutes ses failles et ses manquements par une enfance douloureuse ou par un « traumatisme », réel ou fantasmé, procédé courant qui le déresponsabilise et prévient toute notion de faute personnelle. L'individu n'est plus alors maître de lui-même, responsable de ses actes, qui ne sont que la conséquence malheureuse de son « vécu » dont non seulement il ne se tire pas, mais dont il tire profit en ce que, tel un enfant, il y trouve le confort de ne pas s'élever, d'être pardonné, tout excusé d'avance.
De même, un individu ne devrait laisser aucune place aux remords ni aux regrets, qui ne sont que des sortes d'épanchements inutiles, des pertes de temps pour l'esprit puisqu'il n'y peut rien changer.
Entre ces fulgurances, des clichés mièvres tels que l'amour, le fait « d'écouter son cœur », la solidarité, le pardon, la bienveillance. J'y aurais évidemment préféré le sain mépris et l'orgueil justifié. C'est encore trop commun, trop rassembleur, et cela noie finalement, à mon sens, l'idée principale. Évidemment, le pardon dans le sens : « ne pas sombrer dans la vengeance et le ressentiment » est sans doute une chose saine s'il s'agit plutôt de ne pas s'attarder sur ce qui n'en vaut pas la peine. Seulement, si c'est en quête du bonheur que l'on « pardonne », par recherche de confort et de béatitude quasi religieuse, c'est un lieu commun que je ne partage pas.
Je ne m'attarderai pas plus avant sur l'explication du moi, du ça et du surmoi de Freud, bien que Freud vienne un peu en paradoxe avec le fait de ne pas s'excuser ses manquement par des traumatismes d'enfance. L'auteure l'affiche dès le commencement : c'est (aussi) un ouvrage de vulgarisation. Elle rappelle ainsi ce qu'elle estime être les grands courants et grandes idées desquelles elle fait partir sa réflexion. Cet aparté pédagogique (il y en a quelques autres) est-il superfétatoire ? Sans doute, à mon sens, puisque les explications de l'auteure se suffisent à elles-mêmes, sont d'ailleurs sans doute assez argumentées pour ne pas avoir recours à cet argument d'autorité. De la même manière, Nataneli cite Descarte et son « Discours de la méthode » prônant le sain recul, la méfiance en nos affects dans notre recherche de la vérité. Et puis Socrate. Et Hegel, Sartre, Hugo, et encore La Fontaine. Évidemment, il faut garder en tête que cet essai est une vulgarisation, que, peut-être, l'auteure a à cœur d'initier à la philosophie, aux grands courants d'idées. Cependant, cette façon me gêne en ce que ces arguments d'autorité, plutôt qu'appuyer les idées développées, les affaiblissent à mon avis : une idée bien amenée, superbement développée, se passe aisément de l'appui d'un grand auteur l'ayant déjà exprimée auparavant.
L'ouvrage est donc composé de pensées en prose, de références et citations entrecoupées de poèmes en vers libres au gré des envies de l'auteure. Je parlerai peu de cette forme de poésie, en ce qu'elle n'est pas de forme classique et ne suit aucune règle. Cohérent encore pour une auteure qui ne souhaite entrer dans aucune case, et presque, j'oserais, n'obéit à aucune règle, mais environ impossible à évaluer en tant que poésie à mon avis. C'est une prose avec rimes, souvent pauvres,  voilà. Et qui délivre un message qui aurait sans doute été plus clair s'il avait été énoncé à la façon d'un essai, je n'en démords pas.
Personne n'ignore plus comme j'aime assez l'égoïsme et l'orgueil, comme je pense que la liberté d'un homme doit valoir plus à ses yeux que le confort d'un autre qu'il ne connaît pas, dont il n'a que faire et qui vaut peut-être moins que lui. C'est là surtout que nous nous opposons. L'auteure ne cite pas Nietzsche, évidemment, ni Emerson. Bien sûr, dans un ouvrage de vulgarisation il faut faire des choix, cependant les choix de l'auteure ne semblent aller quand dans une direction. Ainsi, jamais l'orgueil n'est perçu de manière positive (n'existe-t-il pas un sain orgueil ?), de même que la puissance serait à blâmer également.
Un petit mot contre l'éditeur (Edilivre) : le nombre de coquilles et fautes d'accords qu'ils ont laissés est assez indigne.
Je termine par une note positive, parce que cette phrase courte, répétée dans l'œuvre comme un leitmotiv, est foncièrement juste : « Nous sommes l'antidote de notre propre poison ».

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