Le Papa de Simon (Guy de Maupassant)

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Quelqu'un m'a dit, il y a peu, que j'exprimais un goût très prononcé pour les auteurs controversés. Et même (mais j'interprète peut-être un peu) que, peut-être, je n'aimais, en littérature, qu'une façon de provocation. C'est bien vrai que j'aime ce que je nomme plutôt l'audace de ne pas être consensuel, de ne point vouloir complaire au commun, de ne pas répéter ce que d'autres ont déjà écrit, de ne pas vomir des idées déjà épuisées. Vrai aussi que j'ai trouvé le journal d'Anaïs Nin aussi déplacé qu'exaltant, que Céline me réjouit et que Bukowski m'amuse. Il y a leur style évidemment, quoique un peu faible pour Nin, mais il y a surtout cette recherche de vérité froide, cette analyse de l'humain sans user de proverbes gentillets sur sa prétendue bonté innée. Cependant, je n'élis pas un livre pour ce qu'il a d'intrépide et d'impertinent. Miller, dont j'aime beaucoup le style ainsi que la philosophie, ne dit à peu près rien, de sorte qu'il me lasse vite. Bukowski aussi, en ce que l'indigestion de sexe et d'alcool me navre assez. N'importe, je ne veux rien prouver par cette chronique (et d'ailleurs on pourrait encore dire que Maupassant est controversé ou que certaines de ses nouvelles sont immorales, ce qui est sans doute vrai). Je puis quand même expliquer pourquoi mon goût s'est ainsi affiné et tourné vers des auteurs moins consensuels : c'est que j'ai tant lu Zola, Balzac, Flaubert, Maupassant, Zweig et des dizaines d'autres que je les connais bien, que j'en ai presque épuisé mes enthousiasmes. C'est pourquoi je suis en quête, à présent et depuis des années, de belles « nouveautés », que j'ai besoin de chercher et de trouver ailleurs d'autres sujets d'admiration, de fulgurantes pensées notamment. Et effectivement, je les trouve plutôt dans un courant peu consensuel, loin des mièvreries habituelles et éculées, loin des proverbes commodes et piètres, loin des mensonges.
Je crois avoir aimé Maupassant dès le début, c'est à dire au collège. Il ne m'a environ jamais déçue. Et il est difficile à présent pour moi de trouver un recueil de lui qui me serait inconnu. Quant aux romans, j'ai tout lu et plusieurs fois. Même dans ce recueil-ci, que je n'avais jamais acheté, j'y ai trouvé des nouvelles que j'avais déjà lues à maintes reprises. Pas toutes cependant : j'y ai trouvé une ou deux que j'ignorais encore.
Voici là un recueil sur l'enfance, pas dans sa pureté naïve et fantasmée mais dans sa véracité , c'est à dire avec sa barbarie et dans toute sa cruauté. L'enfant vrai, méchant et ingrat, cruel et vil parfois. L'enfant comme miniature de l'adulte, avec ses mêmes vices, déjà corrompu à son contact. Évidemment, si le petit Simon, paradoxalement enfant du péché et âme plus pure que ses camarades, trouve un papa, toutes les nouvelles n'ont pas un dénouement si heureux. Et même lorsque Maupassant écrit une fin heureuse, il ne peut supprimer la naturelle méchanceté des enfants.
J'ai toujours aimé « Aux Champs » en ce que la bassesse présumée de la vente d'un enfant devient une vertu du point de vue de l'enfant que l'on a refusé de vendre. Voilà qui est réjouissant et renverse toute notion de morale avec la même hargne que celle que l'enfant non vendu met à se rebeller contre ses parents. Il n'y a ni bien ni mal ancré ni universel. Le fils trouve injuste, égoïste et cruel de n'avoir point été vendu. Les vendeurs d'enfant auront eu raison, c'est tout. La morale n'y fera rien.
« Le Baptême », nouvelle simple et au premier abord gentille et complaisante, pittoresque surtout, montre avant tout un prêtre quasi au désespoir de ne pas être destiné à devenir père. Voilà qui est profond malgré cette impression de charme, de couleur locale et de bons sentiments. Le prêtre est ému au désespoir de son sort, sanglote de la condition qu'il a plus ou moins choisie. Et presque : se désespère d'être prêtre.
Chaque nouvelle a sa part de sombre, chacune chatouille voire gratte jusqu'au sang et parfois égorge tout à fait une tare de la société ou l'un de ses membres, en ce qu'il les représente environ tous. J'aime ce garçon d'écurie qui tue le vieux cheval. Pas en une fois, ça non, mais à petit feu, lentement, comme pour savourer son pouvoir sur l'animal, comme pour asseoir la puissance qu'il ne peut avoir sur les hommes. Est-ce immoral qu'un gamin tue pour rien un pauvre cheval malade ? C'est que l'enfant, bien que cruel, raisonne : pourquoi donc nourrir une bête devenue inutile et inapte ? D'ailleurs, garde-t-on et soigne-t-on un vieux domestique qui ne peut plus remplir sa tâche ? L'enfant rend justice seul, voilà. Et s'il en éprouve du plaisir, s'il jouit de torturer un peu la bête et de l'affamer, c'est encore bien humain.
Faudrait-il que je revienne sur le style de Maupassant ou encore sur sa façon de maîtrise de la nouvelle ? Voilà en quoi il est sans doute plus difficile de commenter un auteur connu et reconnu : tout aura déjà été dit, et mille fois. Maupassant est un fabuleux conteur, qui rend à la fois une impression de réalité qu'une atmosphère. On pourra prétendre que c'est un pessimiste, moi je pense que c'est un lucide. Il décrit de tristes existences, des paysans malmenés par le sort, des rustres laborieux. S'il dépeint un monde désespérant et des individus médiocres, c'est qu'ils le sont. L'égoïsme, la cruauté, l'insensibilité et tous les travers humains règnent en maîtres dans ces nouvelles, et c'est encore plus frappant en ce qu'il s'agit là d'enfants. Quant au style, ce recueil est assez typique en ce que l'auteur fait usage de sa vision du réalisme (préface de Pierre et Jean) ainsi que de mots empruntés au patois normand. Et c'est toute la terre normande qu'il exploite ainsi : les paysans, la campagne, les manières grossières, la brutalité féroce et la vie rude, souvent subie.
Et n'est-il pas drôle ? Certains personnages ne sont-ils pas magnifiquement ridicules ? La mère Boitelle qui demande naïvement si la peau noire salit les habits et qui est superstitieuse au point d'y voir le diable. C'est à peine si ce récit suscite une quelconque indignation tant on mesure plutôt le racisme ordinaire de l'époque, celui des paysans simples, pas méchants, et du rejet naturel de l'inconnu.
Oserais-je enfin parler de ce qui pourrait passer pour de la misogynie de la part de l'auteur, qui n'est selon moi qu'une parfaite observation et connaissance de la femme, de sa psychologie et de ses feintes ? La mère, la maîtresse, la bafouée, la sainte, l'épouse, la bourgeoise : il les connaît toutes et en fait de fort réalistes portraits. Pas toujours à leur avantage, certes, mais infiniment élevés : il les peint avec le réalisme qu'on lui sait.

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