La discussion continue

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Les questions s’enchaînent. Maître Albertine enfonce le clou. Elle ne veut pas tomber dans un regrettable enfumage. C’est déjà bien pour un début. Les positions antinomiques entre les deux vigiles et le directeur montrent que derrière cette affaire de viol et de meurtre, il se pourrait qu’il y ait d’autres vérités. L’avocate pense que le dé est déjà jeté au milieu du Ludo. Les déplacements des pions dépendent désormais de la face montrée par le dé. Stéphane change comme bon lui semble de pôles. À chaque dix minutes, il fait éclore une nouvelle humeur. Il est loin d’être zen avec toutes les questions. Ça se voit que certaines questions sont brûlantes à ses yeux. Conséquence, ses réponses sont gouvernées par une certaine peur illustrée par son bégaiement.
— Monsieur le directeur, j’ai lu quelque part que vous avez trois palaces dans ce pays. Est-ce vrai ?
— Je suis un homme d’affaires. J’ai toujours voulu m’investir dans le domaine du tourisme. Oui, c’est vrai. J’ai une chaîne d’hôtels et de restaurants.
Maître Albertine voit que pour une première fois les réponses de Stéphane sont similaires à celles des deux vigiles. Elle s’accroche à cette brèche.
— Vraiment, vous êtes un homme qui s’investit dans le développement de son pays. C’est quelque chose à magnifier. Ce n’est pas donné à tout le monde de disposer de tout cela.
— Je vous remercie chère avocate. C’est juste l’aboutissement d’un long travail. Je veux que le problème du chômage soit solutionné. J’emploie plus de quatre mille personnes.
Maître Albertine n’est pas charmée par le bavardage de Stéphane. Cet homme parle trop. Tu lui poses une question simple, il la disserte se permettant d’ailleurs d’extrapoler. Cette interview n’est pas un canal pour sa publicité. Déjà, l’avocate sait que les trois hôtels dont dispose Stéphane ne peuvent pas employer quatre mille personnes. C’est impossible. Le directeur de l’hôtel veut juste embellir son image. C’est son affaire, en tout cas la détermination et le dévouement rendent inflexibles l’avocate qui change sur-le-champ de sujet.
— Peut-être que vous ne le savez pas mais ce n’est pas la première fois que je pose mes pieds dans votre hôtel.
— Ah bon ! Je ne le savais pas. Et comment voyez-vous le décor ?
Maître Albertine enfile sa robe d’avocate pour inventer un mensonge pouvant lui permettre de mieux cerner ses questions. Mais, elle sait que cet homme assis en face d’elle est très rusé.
— Franchement, c’est magnifique. Je me rappelle de deux vigiles très comiques qui m’avaient accueilli lors de ma dernière venue. Ils s’étaient très bien comportés avec moi. Je leur avais même promis de revenir dès que possible les voir. Sont-ils toujours là ?
Plus incroyable que Maître Albertine, ça n’existe pas. Dieu sait que c’est la première fois qu’elle vienne dans cet établissement hôtelier. L’affectation inopinée et brusque des deux autres vigiles est un passage qui mérite d’être éclairé. Stéphane refait sa cravate. Il laisse échapper un petit sourire. Il prend son stylo qu’il remet dans un bocal. Il répond à cette nouvelle question en toute harmonie.
— Deux vigiles ? Vous parlez de Momath et de Galaye ? Ce sont de vrais travailleurs. Depuis qu’ils ont rejoint cet hôtel, ils ne cessent de me surprendre. Ils aiment leur travail. Il m’arrive même de les retrouver dans le hall de l’hôtel pour échanger pendant des minutes avec eux. Ils m’ont appris beaucoup de choses dans la vie. Ils me relatent souvent les souvenirs de leur passé. Ce sont d’excellentes personnes. Vous les avez croisés sûrement en venant. À moins qu’ils soient dans le jardin. C’est là-bas qu’ils se sympathisent parfois.
Stéphane lui fait le portrait des deux vigiles qui sont en garde aujourd’hui. Maître Albertine tombe dans un petit remue-ménage mental. Elle a un tohu-bohu de pensées. Elle veut dire au directeur que tu m’emmerdes avec tes réponses mais elle ne peut pas. Il y va de la suite de l’interrogatoire.
— Non ce ne sont pas les deux vigiles que je viens de rencontrer. Également, ils sont très adorables et accueillants. Par contre, je parle de deux autres vigiles qui sont tout le temps avec eux. Si je ne me trompe pas, ils étaient quatre lors de ma dernière escapade. Les deux vigiles qui sont aujourd’hui en garde étaient dans le hall et les deux autres étaient de l’autre côté. Je n’ai pas voulu demander à leurs amis s’il étaient là ou pas. De toute façon, ce n’est pas une question qui a un rapport avec l’enquête en cours. Je voulais juste leur fait un petit coucou.
Un petit silence d’une minute avant que le dialogue ne reprenne.
— Yeah, je comprends maintenant. Vous devez assurément parler de Maouloud et de Birima. Ils travaillaient dans cet hôtel mais depuis des jours, ils n’y sont plus. Ils ont été affectés dans un autre hôtel. J’ai voulu les récompenser tellement ils faisaient bien leur travail.
Au moins, cette fois, sa réponse rejoint celle des deux autres vigiles. Cette histoire d’affectation est le centre de la problématique. L’avocate sait qu’elle doit s’appuyer dessus.
— Où se trouve cet autre hôtel ? Je veux aller leur rendre visite.
— Ce n’est même pas au Sénégal. Ils sont actuellement dans la sous-région.
Le téléphone de Stéphane sonne. Sur l’écran, il est affiché « Vigile Birima ».

À suivre…

Pots Cassés 🥃❌Où les histoires vivent. Découvrez maintenant