Un appel inattendu

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— Ai-je dit quelque chose de mal ? La phrase de Maître Albertine coïncide avec le retour de Grégoire.
— Non Maître. Juste que notre métier est très sensible. D’ailleurs, c’est ce qui m’a poussé à ranger le dossier qui était sur la table. Je m’excuse si vous l’avez vu autrement.
— Même pas, je vous comprends. Vous aimez fouiner dans la vie des autres. C’est dangereux. Vous risquez de recevoir une balle dans la tête.
La joie reprend. Le climat délétère n’est plus là. La discussion peut retrouver sa valeur initiale.
— Comme vous le savez, c’est un métier passionnant qui exige beaucoup de professionnalisme. Le moindre détail négligé peut capoter tout le travail. Faire des investigations n’est pas donné à tout le monde. Ce sont des heures de sommeil qu’on perd. C’est une vie de famille qu’on oublie. Il n’est pas permis à tout le monde de devenir un journaliste d’investigation. Les investigations dont nous faisons ne sont pas du tout élémentaires. Nous laissons faire notre intuition qui nous fait vivre autour de risques infinis. Cependant, nous réussissons généralement. Grâce aux journalistes d’investigation, beaucoup de problèmes sociétaux ont pu être réglés. Nous jouons un rôle très important dans la vie de tous les jours.
— Excellent ! C’est ce qu’on appelle l’amour de son métier. Je pense que je peux poser mes questions maintenant. En tout cas, ce bel exposé me fait penser que mes questions seront excellemment bien répondues.
Savoir changer le cours d’une discussion, c’est ce qui fait le charme de Maître Albertine.
— Je suis tout ouïe. Allez-y. Posez-moi n’importe quelle question. Je vous répondrai en bon journaliste d’investigation. Mais attendez car il se pourrait que certaines de mes réponses deviennent des questions. Je vous aurais avertie.
Une réponse qui fait beaucoup rire l’avocate. Elle est tombée sous le charme de Grégoire. Dis-moi qui est ton ami, je te dis qui tu es. Voici la matérialisation de cette maxime. Grégoire et Djibril se ressemblent beaucoup. Chose qui plaît énormément à l’avocate. Mais brulante d’attente, elle épilogue sur ses questions.
— À l’entame de notre conversation, je t’ai parlé d’un dossier sur lequel travaillait ta collègue Raïssa. Étais-tu au courant de ce dossier ?
— Quel dossier exactement ? Nous travaillons sur beaucoup de dossiers. D’ores et déjà, je vous dis que nous n’étions pas les meilleurs amis du monde. Nous n’entretenions que des relations de travail. Nous ne nous sympathisions pas tous les moments. Je croyais que c’était la même chose avec mon ami Djibril. Alors que ce mec est le plus grand des cachotiers. Sa relation avec Raïssa m’a trop surpris. Je l’ai sue le lendemain de l’affaire.
— Je n’en sais pas beaucoup. Raïssa investissait beaucoup d’efforts sur un dossier. Hélas, je suis obligée de chercher ailleurs en ce sens qu’elle ne t’a jamais parlé de ce dossier.
— Ailleurs ? Où exactement ?
— Je ne peux rien te dire pour l’instant. Je croyais juste que Raïssa t’avais parlé de ses projets. Ce n’est pas grave. Je vais te laisser. Je m’excuse du dérangement.
— Tout le plaisir est pour moi chère avocate. Je compte beaucoup sur vous pour sortir mon ami de prison. Il ne mérite pas ça. Peut-être que des gens ont comploté contre lui.
— Complot ? Qui auraient comploté contre Djibril ? Tu en as une idée ?
Cinq secondes d’hésitation avant de répondre.
— Chère Maître, ne donnez pas de valeur à mes propos. Mon métier de journaliste d’investigation me fait dire parfois des choses insensées. Il y a ce qu’on appelle le flair du journaliste. Toutes les issues sont importantes. La plus petite parcelle de l’histoire peut expliquer la charpente du récit dans son intégralité. Je ne vous apprends rien. Je sais que vous êtes très bien outillée pour comprendre ce que je veux dire. Je suis avec vous. De mon côté, je ferai le nécessaire pour braver tous les obstacles afin que Djibril rentre chez lui. Il ne sera guère esseulé.
— L’amitié a des racines amères mais ses fruits sont doux. L’amitié peut tout garder sauf la trahison. Le chemin de la vie est parfois ténébreux ou rocailleux, mais la compagnie de vrais amis le rend toujours plus aisé et lumineux. Être optimiste est facile quand on a un ami fidèle dont les messages d’amitié sont des raisons de croire en l’humanité. L’ami, c’est celui qui vous rend meilleur, qui vous permet de progresser dans l’existence, de développer une part de vous-même, qui sans lui, serait restée cachée. L’ami est quelquefois plus proche qu’un frère. Que l’on fasse le mal, il avertit. Que l’on fasse le bien, il exhorte à la persévérance. Que l’on soit en difficulté ou en danger, il assiste, soulage et délivre. Un tel individu est, vraiment, un ami véritable et distingué. L’ami est celui qui, malgré le temps qui passe, nous reste fidèle. Quand nous traversons des périodes difficiles, il est là. Quand nous voulons partager nos joies et nos folies, il est là. Quand nous avons envie de refaire le monde, il est le premier à vouloir le rebâtir avec nous. Prends soin de toi, l’ami de mon client.

La nuit venue, Grégoire est submergé par une insomnie. Il sort ses outils pour travailler. Il déploie tous ses efforts jusqu’à ce que le sommeil refasse surface. Il se couche.
Djibril, de son côté, peint ses habitudes récentes. Il n’arrive pas à dormir. Il passe toute la nuit à prier. Il prie pour le repos de l’âme de Raïssa.

Djibril et Grégoire sont en train de jouer dans une sorte de désert. Il y sont seuls. Ils doivent avoir sept à dix ans. Quand le crépuscule s’approche, Grégoire s’est retiré de l’autre côté. Pendant ce temps, Djibril est assis aux alentours d’un oasis. Il joue avec l’eau. Tout à coup, en se retournant, il voit son ami s’approcher de lui avec deux chiens. Il ne sait pas d’où est-ce qui les a trouvés. Ce qu’il veut savoir.
— Grégoire, d’où viennent ces deux chiens ? Ce sont des bergers allemands ou bien ?
— Ces deux chiens sont mes deux amis. Ils ne m’ont jamais abandonné. Qu’il pleuve ou qu’il neige, ils sont toujours à mes côtés. Contrairement à toi, un ami qui galvaude le mot amitié. Je suis venu pour en finir avec toi. Tu vas regretter tout ce que tu m’as fait. Sale traître. Tuez-moi ce petit traître.
Grégoire laisse les deux chiens. Les bêtes prennent leur vitesse de croisière.
— Qu’est-ce que tu fais Grégoire ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? C’est moi Djibril, ton meilleur ami.
Plus qu’un jeu, Grégoire n’arrête pas. Les deux chiens font de grandes enjambées. Djibril essaie de courir mais il est mille fois moins lent que les deux fauves. Les deux chiens l’ont mordu dans toutes les parties de son corps. Il finit par mourir. Les deux chiens reprennent leur vitesse, ils se dirigent cette fois vers Grégoire qui ne comprend pas lui aussi. Ses propres chiens veulent le mordre. Il court, mais bizarrement il est plus rapide que les chiens. Il saute d’une haute montagne et tombe dans des flammes.

— Non, non, non, s’écrie Grégoire. Seigneur Jésus ! Seigneur Jésus ! Seigneur Jésus !
Grégoire sait qu’il vient de faire un cauchemar. Il grelotte vivement. Il a le corps luisant de sueur. Cela fait longtemps qu’il n’avait pas fait de rêve.

Il est huit heures passés de quelques minutes quand la voiture de la gendarmerie est garée pour le déferrement de Djibril. Le jeune homme porte un caftan marocain de couleur blanche. Il n’a rien perdu de sa joie de vivre. Il est mis dans l’arrière de la caisse. Il peut entendre la discussion entre le chauffeur et l’autre gendarme. Le téléphone de ce gendarme sonne. Il décroche.
— Bonjour Monsieur Stéphane, nous sommes en route pour la prison de Rebeuss. Ne vous inquiétez pas.
C’est l’abattement total pour Djibril.

À suivre…

Pots Cassés 🥃❌Où les histoires vivent. Découvrez maintenant