Salla n'est plus

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— Eh Seigneur, qu’est-ce que j’ai fait ? Salla Ndiaye, la fille qui vient de m’appeler ? C’est insensé que je puisse faire ça. Elle est morte. J’ai tué une personne.
Les sirènes arrivent. Les secours ne sont pas en reste. La colère de la foule est totale. Chacun déverse sa bile sur l’avocate. On la dénigre vigoureusement. Tous les noms d’oiseaux tombent sur elle. Maître Albertine n’est pas dérangée par les admonestations des gens qui l’encerclent. Ce ne sont pas non plus leurs réprimandes qui l’encadrent dans une hystérie totale. Le corps sans vie de Salla niche dans chaque corpuscule de sa conscience.
— Veuillez nous suivre à la brigade de gendarmerie. Un homme réalignant son béret s’approche d’elle. Le commandant s’est senti époustouflé quand l’avocate s’est mise en face de lui. Il la reconnait avant de poursuivre son monologue.
— Maître Albertine ? Je rêve ou pas ? C’est vous Maître Albertine ? Ahuri, le commandant n’en revient toujours pas.
Aucune réponse de la part de l’avocate. Elle suit les ordres de l’autre gendarme qui lui demande d’entrer dans la voiture de la gendarmerie. Sa voiture est laissée entre les mains des trois autres gendarmes qui doivent terminer le constat.

Salla est acheminée à l’hôpital. Le service des urgences de l’hôpital compte en son sein une nouvelle patiente. Le corps ensanglanté de Salla fait déjà rougir les urgentistes. La jeune femme a perdu beaucoup de sang. Le médecin-chef exige à ce que tout le monde sorte. Il souhaite rester seul avec la patiente et ses infirmiers.
— Sortez, sortez, sortez, dit Docteur Diallo.
Tout le monde sort. La consultation peut à présent commencer. Un des infirmiers alerte le médecin, le niveau cardiaque de Salla diminue. Le médecin orchestre la préparation du stimulateur cardiaque. Le stimulateur cardiaque, ou pacemaker, ou pile cardiaque, est un dispositif implanté dans l’organisme fournissant des impulsions électriques destinées à stimuler les muscles cardiaques en permettant ainsi, par exemple, d’accélérer la pulsation du cœur lorsqu’il est trop lent. Les premiers coups de défibrillateur ne servent à rien. L’inquiétude plane sur les visages. De nouveaux coups de défibrillateur, heureusement qu’ils ont permis d’envoyer des pulsions électriques à Salla. Son rythme cardiaque se stabilise. Elle dort et n’émet aucun geste. La mobilité de ses muscles pose problème. Les médecins arrêtent l’hémorragie. Ils se regroupent dans l’une des salles du centre de transfusion sanguine de l’hôpital pour combler la quantité importante de sang perdue par Salla. Un malheur se présente. Le groupe sanguin de Salla est O négatif. Le plus rare des groupes sanguins c’est O négatif. C’est le groupe des donneurs universels. Le groupe O- représente 7% de la population mondiale. Les caractéristiques de ceux qui ont le groupe sanguin O négatif sont les suivantes. Pour ce qui est des antigènes, ils n’en ont aucun. Leurs globules rouges peuvent donc être transfusés à n’importe quel groupe sanguin quel que soit le rhésus d’où leur nom de donneur universel. Ils ont un rhésus négatif. Celui-ci permet aux personnes de groupe O- de donner leurs hématies à tout le monde. En revanche, ils ne peuvent recevoir que du sang rhésus négatif. Enfin, pour ce qui est des anticorps, le groupe sanguin O négatif contient deux types d’anticorps : anti-A et anti-B. Cela complexifie un peu plus la possibilité des groupes donneurs aux O-. Ils ne peuvent être transfusés qu’avec des érythrocytes (globules rouges) de type O et de rhésus négatif.
— Les banques de sang sont presque toutes vides. Pour ce qui est du groupe sanguin O négatif, il n’y a aucune goutte de sang disponible. Le responsable du centre de transfusion sanguine leur fait état de la situation.
Docteur Diallo demande à ses équipes de voir dans les autres centres de transfusion sanguine de la capitale. Si rien n’est fait d’ici deux heures de temps, Salla ne pourrait pas être sauvée. L’information est relayée vite. On téléphone dans tous les hôpitaux mais la chance semble ne pas sourire à Salla. Le découragement est le maître mot. Un communiqué est partagé sur les canaux digitaux pour informer tout le monde. Le message passe vite dans les groupes WhatsApp. Il ne reste que trente minutes avant que l’irréparable ne se produise.
— Bonjour, je suis venue donner mon sang à la patiente. Nous avons le même groupe sanguin. Une jeune demoiselle arrive dans le service des urgences.
— Vous êtes O- ?
— Faites vite. N’est-ce pas dans le communiqué, vous avez dit que la patiente est entre la vie et la mort ?
— Oui madame. Juste une minute.
La demoiselle suit les deux infirmiers. Elle effectue quelques tests sanguins.
À l’issue de l’entretien, il a été nécessaire de réaliser un test pour déterminer son taux d’hémoglobine et confirmer son aptitude. Une chose normale car c’est la première fois que la demoiselle décide de donner son sang. Le don de sang s’effectue en position allongée. Le prélèvement est réalisé et surveillé par une infirmière. Il a duré environ dix minutes. Le volume prélevé sur la demoiselle est de 460 ml.

Il n’y a pas de temps à perdre. La demoiselle est venue à temps. Salla est sauvée. Son état redevient stable. Le médecin demande à ce qu’on lui fasse venir la demoiselle. Celle-ci attendait dehors. Elle voulait récupérer les résultats de certains tests qu’elle avait effectués dans le même hôpital, il y a quelques jours.
— Salut Docteur, vous avez demandé après moi ?
— Oui, c’était juste pour vous remercier de votre geste. Sans vous, la patiente allait mourir.
— Bah, ce n’est rien. J’étais dans les parages et j’ai lu la note sur WhatsApp. J’espère qu’elle va bien maintenant.
— Elle a du mieux. Elle est sous oxygénation. Vous savez, donner son sang, c’est sauver une vie ou même des vies. Le don de sang a même sept avantages que beaucoup ignorent. Le premier avantage est que le don de sang peut stimuler la production de nouvelles cellules sanguines, l’organisme s’efforçant de compenser les pertes de sang. Cela contribue à promouvoir une bonne santé. Le deuxième avantage est que le don de sang à intervalles réguliers peut aider à prévenir l’hémochromatose. L’hémochromatose est une maladie qui survient en raison d’une surcharge en fer ou d’une absorption excessive de fer dans l’organisme. Le don de sang régulier aide à prévenir la surcharge en fer et réduit ainsi le risque d’hémochromatose. Le troisième avantage est qu’un niveau sain de fer dans l’organisme est également lié à un risque réduit de cancer. Le don de sang peut donc avoir des effets bénéfiques contre le cancer, car il aide à stabiliser le taux de fer à un niveau sain. Le quatrième avantage est que l’organisme n’absorbe que la quantité de fer nécessaire et l’excès de fer est stocké dans le cœur, le foie et le pancréas. Ainsi, en abaissant les taux de fer et en réduisant la surcharge en fer, le don de sang peut contribuer à réduire le risque d’affections cardiaques et hépatiques telles que les anomalies cardiaques, les crises cardiaques, la cirrhose, l’insuffisance hépatique, les lésions du pancréas, etc. Le cinquième avantage est que le don de sang peut contribuer à réduire le poids corporel. Cela est particulièrement bénéfique pour les personnes obèses, car un poids corporel réduit diminue encore le risque de maladies cardiovasculaires et d’autres problèmes de santé. Le sixième avantage est que les dons de sang réguliers peuvent vous aider à contrôler votre état de santé. Un mini bilan de santé, comprenant une vérification de la tension artérielle, du pouls et du taux d'hémoglobine, est effectué avant le don. Cela vous donnera un aperçu de votre état de santé général et vous aidera à déterminer s’il existe une anomalie, un facteur de risque ou un problème de santé sous-jacent. Enfin comme septième avantage, je peux dire qu’en plus de votre santé physique, le don de sang est également bénéfique pour votre bien-être mental et émotionnel. Un don de sang régulier vous donne un sentiment de fierté, d’appartenance et d’accomplissement. En rendant un service vital et en apportant une contribution à la communauté, le sentiment de bien-être du donneur est renforcé.
— Je ne savais pas tout cela. Merci beaucoup. L’essentiel est qu’elle soit saine et sauve.
— On l’a récupérée à temps. Ou bien devrais-je plutôt dire que vous êtes venue à temps. L’accident a été grave.
— Quel accident ? questionne la demoiselle.
— Donc vous ne savez pas ? Une voiture a heurté la fille tout à l’heure. J’ai entendu d’ailleurs que c’est la voiture de la célèbre avocate Maître Albertine Gomis.
— Qu’est-ce que vous dites ? Une grosse hébétude se lit dans la réaction de la demoiselle.
— Vous la connaissez ? 
— Bien-sûr que je la connais. Je suis devenue avocate grâce à elle. Je l’ai rencontrée à deux reprises dans un panel d’échanges. Elle est où actuellement ?
— Je présume qu’elle soit à la gendarmerie.
— Merci Docteur, il faut que j’aille la voir.

Maître Albertine a expliqué aux gendarmes ce qui s’est passé. Elle leur a fait une juste explication de l’accident. Elle a été traitée avec respect durant tout l’interrogatoire. Elle est entrée dans la cave de la brigade. Maître Albertine prie beaucoup pour que son état s’améliore.
— Vous avez de la visite, lui dit une demi-heure plus tard un gendarme.
— Une visite ? Qui est-ce ?
— Votre avocate.
— Mon avocate ? Quelle collègue peut-elle bien être ? Maître Albertine est surprise. Son avocat est Maître Ibrahima Ndoye qui est actuellement en France pour un séminaire. Là, le gendarme lui dit que c’est une avocate.
Quand elle a vu la jeune fille qui l’attend dans la salle, elle n’a rien compris. Elle s’assoit en face de sa soit disante avocate.
— Qui êtes-vous ? Je crois vous avoir déjà vue ?
— Oui vous m’avez déjà vue. Je me présente. Je suis Maître Solange Manga. Vous étiez l’une de nos institutrices. Un jour, nous nous sommes rencontrées dans une cérémonie et nous avions longtemps parlé.
— À la Patte d’oie ?
— Oui, c’était là-bas.
— Si je m’en rappelle. Vous êtes toute mignonne ma chérie.
— Merci tata.
— De rien, vous êtes dans quel cabinet ?
— Celui de Maître Ibrahima Ndoye.
— Ah bon ? C’est lui qui vous a dit de me défendre ?
— Bah non, je sais juste qu’il est votre avocat. Mais vu qu’il n’est pas au Sénégal, je me suis dit pourquoi pas venir vous défendre. J’espère que ça ne vous dérange pas.
— Vous êtes à combien de procès ?
— Deux procès.
Maître Albertine est émerveillée par le courage de Solange. Elle se retrouve en cette jeune fille. Quand elle avait le même âge que Solange, elle s’imposait déjà. Elle décide de lui donner une chance.
— Je suis très contente que vous vous portiez volontiers pour me défendre. Je n’y vois aucun inconvénient. Mais à deux conditions.
— Lesquelles ?
— Première condition, vous devez également défendre un de mes clients. Deuxième condition, vous devez en parler avec Maître Ibrahima Ndoye pour approbation. C’est facile non ?
Un petit sourire s’affirme avant sa réponse.
— J’accepte les deux conditions. J’aimerais également vous dire que Salla va mieux.
— Elle est en vie ? Dieu merci !
— Oui, elle est en vie.

Après le départ de Solange, Maître Albertine se met à penser à Djibril. Elle sait qu’elle a pris un énorme risque en laissant Djibril entre les mains d’une jeune avocate inexpérimentée. Dans un coin de sa tête, par contre, une voix lui dit que c’est le bon choix.

Quatre heures du matin, un homme entre dans la chambre où est hospitalisée Salla. Il est à quelques centimètres de son lit. L’oxygénateur est bien branché.
— Je t’avais dit ne pas ouvrir ta putain de bouche. Tu m’entends Salla ?
La patiente reconnaît cette voix. Elle ouvre difficilement et pour une première fois depuis son hospitalisation ses yeux.
— Je sais que tu sais qui suis-je mais tu ne sais pas de quoi suis-je capable.
La courbe des yeux de Salla frissonne.
Le gars prend un ciseau et coup le fil de l’appareil de respiration. Il prend l’oreiller. Il le met sur la tête de Salla. Aucun cri ne sort de la chambre. Aucun geste ne va empêcher la mort de Salla. Salla est partie à jamais.

À suivre…

Pots Cassés 🥃❌Où les histoires vivent. Découvrez maintenant