Chez Djibril

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Cet appel est la dernière chose à laquelle pensait Djibril. Il n’y a plus de doute. Stéphane est un maillon incontournable dans la recherche de la vérité. C’est absurde qu’il ne soit pas mêlé à cette affaire. Qu’est-ce qu’il cherche ? Pourquoi tente-t-il de connaître l’itinéraire ? Me connaît-il ? Les questions assaillent la conscience de Djibril. Il attend urgemment son avocate pour lui dire ce qu’il vient de découvrir.
Deux pénitentiaires accompagnent Djibril dans une cellule. C’est la chambre 4. Le jeune homme est accueilli par les cris des autres détenus. Djibril ne peut même pas compter le nombre de détenus. Cent ? Deux cents ? C’est un autre monde. Il ressent beaucoup de sensations négatives. Il se met à l’idée que cet endroit va être un enfer pour lui.
La nuit venue, Djibril ne dort pas. Cet endroit paraît comme une tombe pour lui. La fine lumière qui éclaire petitement la chambre ne réussit pas son rôle. Elle rend plus sombre la chambre et peut causer, sans doute, des troubles optiques. Le plafond de la chambre laisse trainer des fissures. Les murs traînent des plinthes. Djibril se gratte, il scrute sa petite place et constate des punaises de lit qui s’y pavanent. Ces petites bestioles vagabondent au hasard. Elles cherchent des peaux humaines pour les sucer. Même dans les maisons les plus propres et les plus aménagées, il est impossible de trouver un sommeil qui voisine avec les punaises de lit. Les moustiques ne manquent pas à l’appel. Pourtant, les détenus peuvent et doivent au moins bénéficier de moustiquaires imprégnées. Djibril se met à côté du mur, ses deux mains sur son menton, il réfléchit. Les ronflements des autres lui paraissent inexplicables. Comment des personnes peuvent vivre dans ce désastre ? Cette question constitue une sacrée gymnastique mentale pour Djibril. Il se perd dans ses réflexions. Le corps de Djibril est collé à celui d’un autre. Ce détenu fait un petit cauchemar et il ouvre ses yeux. Il voit la silhouette de Djibril. Il se lève doucement pour ne pas réveiller les autres. Il se met à côté de lui, enlève ses mains qui enveloppent son visage. Le gars comprend ce que ressent Djibril. Il a vécu, dans le passé, la même chose. Sa première nuit en prison est identique. Djibril a faim d’une chaleur humaine. Il désire accolader une personne. Le gars s’ouvre à lui et lui demande ce qui lui empêche de trouver le sommeil.
— Pourquoi tu ne dors pas mon frère ? Tu peux te confier à moi. Je m’appelle Amadou. Et toi, quel est ton nom ?
— Je m’appelle Djibril. Je n’arrive pas à dormir. Je ne sais même pas comment font les autres pour dormir.
— Mon frère, je comprends ce que tu vis actuellement. Nous tous qui sommes dans cette chambre avons déjà eu à vivre cela. Par contre, je te conseille d’être très fort mentalement. C’est très difficile d’être en prison. Mais avec la foi et le courage, on peut changer les choses. Au début, ça va être difficile. Les nuits seront longues. Les habitudes maisonières vont manquer. Ce lieu est, toutefois, un endroit pour se ressourcer, pour répondre aux questions qui étouffent tes pensées, pour donner une nouvelle direction à ta vie. Nous sommes dans cet endroit pour des raisons bien précises. Nous allons y ressortir avec une maturité conquise. Si tu arrives à vaincre les choses, tu vas être heureux le reste de ta vie.
Amadou retrouve le sommeil. Djibril, quant à lui, sort de la poche de son caftan le bracelet que lui avait donné Raïssa. Il redevient plus amer, meurtri et aigri. Il escompte pouvoir voir sa bien-aimée et lui demander pardon. Ses larmes humidifient son caftan. Son amour pour Raïssa glace ses pulsions. Il convoite de la revoir non pas en face à face mais dans son cœur. Cette imagination entraîne des aspirations mitigées. Il s’auto-réprime car n’ayant pas écouté sa conscience.

C’est à dix heures qu’est venue Maître Albertine. Le visage acariâtre de son client la cadenasse dans une tristesse on ne peut plus qualifier. Elle ressent la désolation de Djibril. C’est tout à fait normal que la discussion soit soporifique.
— Aujourd’hui, en voyant ton visage renfrogné, je n’ai même pas le courage de te demander comment tu vas. Je présume que tu as passé une nuit dégoûtante. Je suis vraiment navrée pour toi mon fils.
Djibril se confesse.
— Maman, je doute que je puisse vivre dans ce lieu. J’ai failli tomber en syncope quand les pénitentiaires ont ouvert la cellule pour que j’y entre. Cette petite chambre ne peut pas accueillir tous ses détenus. Il y a trop de monde dans la cellule. Je ne parle même pas de cette odeur nauséabonde qui se fait renifler. Que dire des moustiques, des punaises de lit, de la chaleur ? Maman, je sais que je vais mourir dans ce lieu.
Djibril pleure. Il pleure de chaudes larmes. Ses yeux se rétrécissent. Heureusement que Maître Albertine reste confiante quant aux miracles de la vie. Elle lui dit.
— L’heure n’est pas au découragement mon fils. Tu dois être fort et très fort même. Ce combat n’est qu’à ses premiers balbutiements. Il nécessitera beaucoup de courage. Il te faudra être endurant pour faire face à tout le monde. Je suis très confiante. Je t’assure que je suis hyper déterminée à te sortir de ce trou à rat. Si tu es dans cet état alors que rien n’a encore commencé, tous nos efforts seraient vains.
Les mots de Maître Albertine réconfortent Djibril qui lui raconte tout ce qu’il a entendu lors de son déferrement. Maître Albertine mordille ses lèvres tout en se sourcillant.
— Tu as entendu tout cela ?
— Oui Maître et crois-moi je voulais crier sur eux.
— C’est une très mauvaise idée. Mais que peut bien te vouloir ce Stéphane ? Vous ne vous connaissez pas. Vous n’avez pas les mêmes fréquentations. Je suis sincèrement étonnée par son implication accrue dans cette histoire.
— Crois-moi, c’est le même état d’esprit qui m’anime. Je ne l’ai jamais vu. Lui par contre est décidément très intéressé par moi.
Maître Albertine convoque son silence légendaire. Djibril ne la dérange pas. Une à deux minutes de gesticulations et la conversation est rétablie.
— À moins qu’il se soit servi de toi pour en finir avec Raïssa.
— C’est-à-dire Maître ? Que veux-tu dire par-là ?
— Déjà, il y a ce mystérieux dossier. Ensuite, Raïssa, dans la constitution de son enquête voulait rencontrer Stéphane. La scène du viol et du meurtre s’est passée dans l’hôtel de Stéphane. Ce même Stéphane a téléphoné les gendarmes pour en savoir plus sur ton déferrement. Il y a anguille sous roche. Stéphane ne joue pas franc jeu. Je dois le rencontrer une nouvelle fois. Qu’est-ce que t’en pense ?
Djibril s’est perdu. Il n’écoute plus Maître Albertine. Celle-ci répète son nom cinq fois avant qu’il ne réponde.
— Quoi ? Tu disais quoi Maître ?
— T’es là Djibril ? Tu penses à quoi ? Maître Albertine s’inquiète déjà.
— Je ne sais pas mais c’est comme si je me suis rappelé d’une scène qui est assez floue à mes yeux.
— Une scène ? Laquelle ?
— Quand Raïssa était partie dans les toilettes. Je m’étais levé pour répondre à un appel. Et à mon retour, il y avait un mec qui était à côté de notre table. Et si… ?
Djibril s’arrête.
— Et si quoi ? Continue s’il te plaît mon fils ?
— Et si cet homme avait mis un truc dans nos verres ? Je ne me rappelle pas du moment où j’ai commandé un verre de vin. Je n’ai jamais bu.
— Je suis dépassée. À chaque nouvelle découverte vient s’ajouter une autre.
— Maman ? Maître ? Maman ? Maître ?
Cette fois-ci, c’est l’avocate qui ne répond pas. Et à Djibril de toucher sa main.
— Tu disais quoi mon fils ?
— Je viens d’avoir une idée.
— Laquelle ?
— Le matin de la Saint-Valentin, Raïssa m’a donné sa machine pour que je la garde pour elle. Je devais la lui rendre après la soirée. Malheureusement, il y a eu cette affaire. Peut-être qu’il y a des choses intéressantes sur sa machine. Des choses qui touchent ce dossier.
— Bien-sûr que oui. C’est tout à fait possible. Où se trouve la machine ?
— Dans mon armoire. Une fois chez moi, dis au concierge de te donner ma clé.

Maître Albertine se dirige directement vers l’appartement de Djibril. À peine arrivée, elle trouve Grégoire dans l’immeuble en train de discuter avec deux hommes portant des Lacostes rouges. Sur les Lacostes est floqué l’insigne suivant « Two dogs’ security ». Aussitôt, elle s’arrête. Maître Albertine est plongée dans un tsunami d’idées.

À suivre…

Pots Cassés 🥃❌Où les histoires vivent. Découvrez maintenant