Affaire de nom de famille

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« Pour ma vie, t’as décidé de perdre ta vie. Pour ta vie, t’as décidé de sortir de ma vie. Je te demande si tu regrettes de m’avoir donnée la vie ou si tu regrettes d’être sortie de ma vie ? Je parle de toi Maman ! N’oublie pas une chose, mon père a été une mère et un père pour moi. Je te déteste de toute mon âme. »
C’est cette note qui bousille les sensations de Maître Albertine. Elle ne sait pas qu’est-ce qui justifie son état ? Elle a instantanément pensé à sa fille. Laissant couler ses larmes, elle oublie même la succession d’événements d’aujourd’hui. Un petit bain, elle le prend avant de dormir.
Djibril vient d’avoir un nouvel ami en prison. C’est Amadou. Celui-ci est un Al Pulaar. Les deux détenus se fraternisent.
— Djibril, mon ami, comment vas-tu ?
— Je vais bien. Et toi Amadou ?
— Je me porte à merveille. Dieu soit loué.
— Amen !
— Je peux te poser une question un peu indiscrète ?
— N’est-ce pas tu es mon ami ? Les amis se disent tout. Ne te gênes pas. Je t’écoute.
— Merci beaucoup Djibril. Je veux juste savoir ce qui t’a amené en prison. Tu ne ressembles pas à un criminel. Je te le dis parce que tous ceux qui sont dans la chambre 4 sont des tueurs, des violeurs, bref des criminels. Ton visage si épatant ne me montre pas ça.
Djibril se met à rire. C’est la façon de parler d’Amadou qui est drôle pour lui. Son accent est particulier. Je vais t’expliquer toute mon histoire. Après, tu verras que je suis moi aussi un violeur, un meurtrier, un criminel.
Djibril n’a pas d’échappatoire. Les issues sont bloquées. Il doit forcément expliquer l’alphabet de son récit à Amadou. Il a envie de parler. Cette prison est une citadelle du silence pour lui. Donc s’il voit une personne prête à l’écouter, il doit pouvoir en profiter. Djibril raconte son aventure par le début. Il ne saute aucun chapitre du livre de sa vie. Il lui fait connaître chaque paragraphe de son existence. Il se tait et reprend son allocution. Il perd le souffle et le retrouve. Les mots s’échappent de sa bouche et brûlent l’audition de son ami. Plus l’histoire avance, plus Amadou se repositionne. Plus les larmes de Djibril coulent, plus Amadou se colle à lui. Celui-ci s’imagine dans un film d’horreur. Il n’a jamais entendu une histoire aussi triste que celle de Djibril. Ce qui lui fait plus mal, c’est cette brillantissime carrière de journaliste qui risque de s’effriter.
— Je suis sincèrement peiné pour toi. Ça se voit que mes hypothèses ne sont pas nulles.
— Je ne te suis pas Amadou. Qu’est-ce que tu veux dire par-là ?
— Je veux juste que tu saches que la prison n’est pas ta place. D’après ce que je viens d’entendre, tu as été piégé. Mon sixième sens me le dit.
— Tu t’y connais toi en magie ? Pourquoi t’as confiance en moi ? Qui te dit que je ne suis pas en train de te mentir ?
— Me mentir pour quelle raison ? Une bouche qui ment est facile à identifier. Ça se voit de loin que tu me racontes la vérité.
— Eh Amadou. En tout cas, je prends du plaisir à discuter avec toi. Renchérit Djibril.
— C’est moi qui suis heureux de parler avec toi.
— À ton tour maintenant de me conter ce qui t’a conduit en prison.
Amadou réajuste son boubou. Sa coupe de cheveux est unique en son genre. Une sorte de dégradé qu’on ne voit que chez les bergers peuls.
— C’est une longue histoire. Je ne peux pas te l’expliquer en quelques minutes car bientôt c’est la fin de la pause. Brièvement, je peux te dire que j’ai tué un mec. Il voulait voler mes moutons. J’ai coupé son bras à l’aide de ma machette. Il a rendu l’âme quelques jours plus tard à l’hôpital.
— Waouh, t’es sadique mon ami.
— On ne touche pas à un troupeau chez nous.
— T’as été condamné à combien d’années ?
— À dix ans de prison ferme. Je dois quitter cette prison d’ici trois ans.
— Hum ! Cela signifie que tu as déjà purgé tes sept années de prison ?
— C’est le cas.
Djibril s’inquiète. Il veut savoir comment il fera pour vivre tout ce temps en prison.
— Et comment as-tu fait pour vivre toutes ses années en prison ?
Une question qui donne du baume au cœur à Amadou. Il comprend malgré tout les ressentis de Djibril.
— Mes sept premières années en prison vont bientôt arriver à leur terme. La vie entre les quatre murs ne m’est plus labyrinthique. Chaque lever de soleil annonce un autre, chaque coucher de soleil balbutie un autre. La vie carcérale ne change pas les habitudes de  la veille. Ces dites habitudes se régénèrent et n’incorporent aucune nouveauté. Ce sont les mêmes habitudes qui sont évaluées. Une poignée de détenus sort, une pléthore de nouveaux prisonniers entre. Aucune chambre ne se vide. Les anciens ne sont plus obsédés par le temps. L’idée d’une quelconque fluctuation s’évapore. Les samedis ressemblent aux mardis, les dimanches ne se différencient guère des mercredis, les lundis présentent les mêmes réalités que les jeudis. La question qui taraude beaucoup d’entre nous, c’est la vie d’après. Qu’allons-nous faire à notre sortie de prison ? Les uns ne s’inquiètent pas pour autant, ils préparent leurs nouvelles entrées en prison. La vie derrière les barreaux est celle qui enchante cette catégorie de détenus. Les autres mettent sur pied les prémisses de leurs futurs projets. Comme la nuit dernière, je te conseille d’être calme. Les choses vont venir normalement.
— Waouh, t’es formidable. Je viens d’avoir un cours magistral.

Le surlendemain, à l’heure de visite, Maître Albertine attend son client dans la salle de visite. Sa venue d’aujourd’hui est spéciale. Son visage est assailli par une détresse totale. Une remarque qui pousse son client à lui demander.
— Salut Maître, une mauvaise nouvelle ? T’es pâle aujourd’hui ?
— T’inquiète, ça va aller. C’est la routine. T’as trop de problèmes, je ne peux pas t’en rajouter d’autres.
— Certes, tu es mon avocate, mais, je te vois aussi comme une maman. Donc, tu peux me faire confiance et me dire ce qui te tracasse.
— C’est à propos de ma fille. Je pense beaucoup à elle. Je n’arrive plus à dormir.
— Qu’est-ce qu’elle là ?
— C’est une très longue histoire. Je ne sais pas est-ce que je dois te la raconter.
— Absolument que oui. S’exclame Djibril.
— Tout à commencé le jour où…
La discussion est stoppée par un appel. C’est le médecin légiste qui appelle l’avocate.
— Allô Docteur Tounkara !
— Salut Maître !
— Les résultats de la contre-expertise sont sortis ?
— Oui et malheureusement pour votre client, les premiers résultats sont revenus positifs. Il y a beaucoup de traces d’ADN de votre client.
— Merci beaucoup Docteur Tounkara.
— Allez. Bonne chance pour la suite.
Une autre nouvelle chaotique est arrivée.
— Putain. Je m’excuse Djibril.
— Qu’est-ce qui se passe Maître ? Djibril est aussi inquiet.
— C’est Docteur Tounkara qui m’appelait.
— Et alors ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Que les résultats de la contre-expertise sont revenus positifs.
— C’est quoi une contre-expertise ?
— C’est simplement une expertise menée afin de confirmer ou d’infirmer une autre expertise.
— Ce qui veut dire que les résultats de l’autopsie sont déjà sortis ?
— Oui depuis avant-hier. Je ne voulais pas t’en informer pour beaucoup de raisons professionnelles. Normalement, la demande de contre-expertise est du ressort du juge d’instruction mais j’ai utilisé mon répertoire pour voir.
Déboussolé, Djibril se couche sur la table.
— Eh Djibril, lève-toi.
— Donc, c’est terminé. Il n’y a plus rien à faire. Je vais être condamné.
— Ne perds pas espoir. Dieu est capable de tout. Bah, dis-moi, tu fais confiance à Grégoire ?
Djibril s’éclate de rire.
— Je suis désolé mais ta question me faire rire. Grégoire est mon meilleur ami. Il connaît toute ma vie. J’ai entièrement confiance en lui.
— Je vois. C’est bon alors.
— Y a quoi Maître ?
— Jusque que j’ai assisté la fois dernière, quand je suis partie récupérer la machine chez toi, à une scène bizarre.
— Vas y, dis-moi ce que tu as vu.
L’avocate explique à Djibril tout ce qui s’est passé entre Grégoire et les deux gaillards. Une inquiétude s’installe chez Djibril aussitôt.
— Qu’est-ce que tu dis là ? Grégoire est menacé par deux mecs qui lui réclament dix millions de francs. Je n’ai jamais été au courant de cette histoire. Sûrement, lui aussi est sur un dossier brûlant.
— Peut-être. C’est louche en tout cas.
— Tu penses à quoi maman ? Que Grégoire peut me…
— Non rien, juste que parfois je dis des choses connes.
— Maître Albertine, je connais Alphonse Grégoire Mendy depuis des années. Et pour rien au monde, il ne me ferait du mal.
Maître Albertine se met debout.
— Alphonse Grégoire Mendy, tu as dit. C’est impossible. Stéphane Mendy et Alphonse Grégoire Mendy sont…

À suivre…

Pots Cassés 🥃❌Où les histoires vivent. Découvrez maintenant