HATE ME

30 - AARON

Elle angoisse, je le sens et surtout je le vois. Elle ne peut pas s'empêcher de gigoter sur son siège et a perdu la parole. Ça ne lui ressemble pas de perdre la parole, cette fille passe son temps à parler pour me provoquer. Quand elle ne le fait pas, c'est forcément que ça ne va pas. Elle n'a pas répondu réellement à ma question mais je sais qu'elle a peur. C'est évident, elle fixe le paysage en se pinçant les lèvres et j'ai l'impression qu'elle va gerber d'une minute à l'autre. Il manquerait plus qu'elle vomisse dans ma voiture pour que la soirée soit un véritable désastre.

  Je sens tout au fond de moi que c'est une erreur. C'en est forcément une parce que mon père est un connard peu importe ce à quoi peut ressembler sa vie maintenant. Il a gâché la mienne et n'est surement pas venu s'excuser. En fait, il n'a pas clairement annoncé ses intentions, je ne sais pas pour quelle raison il s'est senti obligé de débarquer de nouveau dans ma vie. Je m'étais juré que je le tuerai si je le revoyais et me voilà encore une fois trop faible pour agir comme un homme. Au lieu de me venger, je vais aller diner chez lui comme un bon fils. Je suis un idiot qui lutte pour ne pas faire demi-tour tout de suite. Je retournerai à l'appartement avec l'emmerdeuse, je me poserai dans mon canapé minable et je prendrais mes deux cachets à la con pour faire passer la douleur qui afflue dans ma jambe. Alyssa me ferait surement la morale et comme d'habitude j'en aurais rien à foutre, je me délecterai de son air énervé et lui sourirai au nez pour l'emmerder. Mais je ne vais rien faire de tout ça puisque je me gare devant l'adresse qu'il m'a donné dans un petit quartier résidentiel qui semble plutôt calme. Le genre d'endroit qui ne ressemble en rien au quartier minable où on habitait à Denver. Dans cette rue, les voisins se feraient surement du souci si les gosses d'à coté se faisaient refaire le portrait par leur propre père tous les deux jours. On ne croise surement pas un camé en train de faire les poubelles dans l'espoir de trouver des restes par ici. Non, c'est plutôt silencieux, bien entretenu. Le genre d'endroit où tu peux fonder une belle famille. Pas une famille comme la notre.

  Je coupe le contact et lance un regard à Alyssa qui a l'air morte de peur. Moi, je n'ai plus peur de lui. Je n'hésiterai pas à faire ce qu'il faut au moindre écart. Cet homme ne représente plus rien à mes yeux, il est juste ma chance d'avancer une bonne fois pour toute.

- Tu flippes l'emmerdeuse ? Demandé-je de nouveau pour la faire chier.

Elle fronce les sourcils puis lève les yeux au ciel avant de sortir de la voiture.

Je fais comme elle en riant. Je crois que plaisanter me fait oublier cette boule qui s'est logée au creux de mon estomac.

- Ne me dis pas que tu as perdu ta répartie. Lancé-je en faisant le tour de la voiture pour la rejoindre.

- Face à toi ? Jamais.

Je souris et lui fait signe de me suivre. Alors que j'approche de la maison elle s'accroche à mon bras confirmant qu'elle a peur. Je lui lance un regard destiné à la rassurer et monte les deux marches devant la porte d'entrée. Je prends une grande respiration et lâche Alyssa pour sonner. On attend silencieusement et je sens mon coeur s'accélérer jusqu'à ce que la porte s'ouvre sur une jeune femme qui doit avoir la quarantaine d'année, elle fait a peu près la même taille qu'Alyssa et semble être d'origine asiatique. Elle affiche un petit sourire convivial en me voyant me reconnaissant sûrement rapidement.

- Tu dois être Aaron ? Demande-t-elle.

J'acquiesce silencieusement et elle nous invite à entrer.

- Je m'appelle Jia, ton père finit de se préparer, il était impatient de te revoir. Se présente-t-elle en prenant la veste d'Alyssa.

Elle l'accroche à un cintre qu'elle range dans un joli placard en bois à l'entrée. J'observe tout autour de moi, la maison n'est pas très grande mais bien rangée et lumineuse. La décoration y est légère mais agréable. C'est le genre de maison idéale qu'on voit dans les publicités. Je ne vois pas une cannette de bière qui traine ou un cendrier trop rempli. Rien ne ressemble à l'environnement que j'ai connu. C'est calme, une bonne odeur règne et une musique de fond pourrait m'apaiser si je n'étais pas autant sur les nerfs.