SIX

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Les talons claquant férocement au sol, Blake se présenta la dernière, à la réunion hebdomadaire. C’était une première !

- Excusez mon retard, Mesdames, Messieurs, je vous interromps mais il y avait urgence, déclara-t-elle en s’asseyant à la droite de sa mère.

- Que se passe-t-il ?

- Je viens de réétudier encore une fois les comptes de la société de ce mois-ci, et je peux vous dire que ça ne me plaît guère. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu Monsieur Walter, ici présent, de la gravité de ses actes.

- A quoi fais-tu allusion ? Je peine à te suivre, Blake, demanda Charlotte.

- Il y a six mois, Alice et moi avions détecté des anomalies au niveau des comptes. Nos dépenses ont, le moins que l’on puisse dire, triplé. Les sommes contenues dans la majorité des factures étaient gonflées ; elles gagnaient sans cesse des zéros. Presque quatre cent mille dollars de marge, en un an ! Je me demande bien qui a pu empocher tout cet argent.

Ce qui m’avait mis la puce à l’oreille est une facture hors du commun. Je ne sais pas qui s’est aventuré à la falsifier, continua-t-elle en regardant, cette fois, directement dans les yeux le concerné, mais je crains qu’il ne soit pas doté d’assez d’intelligence et de sens d’observation.

L’assistante de Blake lui remit un tas de papiers, tous ornés de gribouillis de couleur rouge, entre les mains.
Elle se mit debout pour dominer la salle.

- J’ai entre les mains une des fameuses factures, dit-elle en souriant. J’ai entouré en rouge tous les détails frappants qui ont échappé à ce fraudeur. C’est écrit noir sur blanc, en lettres, que les frais de la papeterie et matériels de bureau fournis par l’entreprise « Stationery Goddess » s’élèvent à dix milles dollars annuellement. Or, Monsieur a trouvé judicieux d’ajouter quelques zéros par-ci, par-là.

- Je ne vous permets pas de porter de telles accusations à mon encontre sans preuves ! vociféra-t-il en bondissant de son siège.

- Mais, rassurez-vous, je n’ai que ça, des preuves, j’ai fait appel à un auditeur certifié qui a confirmé mes doutes. J’ai fait parvenir les documents à notre avocat, ajouta-t-elle loin d’être intimidée par sa voix.

- Je n’arrive pas à y croire. Comment avez-vous osé trahir ma confiance ? Vous ne serez pas surpris que je vous annonce que vous êtes viré.
Evans, ayez l’amabilité de raccompagner Monsieur pour le reste de son solde et les formalités qui s’en suivent. Attendez-vous à rendre des comptes à la justice ! Je vous conseille de prendre un très bon avocat, finit-t-elle par dire en colère.

Une journée comme celle-ci ne se produisait pas deux fois. Charlotte devait doubler de vigilance. Elle ne permettrait à personne de détruire l’empire que son mari et elle avaient passé des années à construire.
Cette entreprise était, comme dirait-on, leur cinquième enfant. Ils en étaient très fiers.

- Quelle belle prestation, vous m’épatez ! applaudit un homme adossé contre la vitre de la salle.

- Je vous demande pardon ?

- Votre petit numéro de factures falsifiées était é-pa-tant ! reprit-il.

- A qui ai-je l’honneur, déjà ? demanda-t-elle en haussant son sourcil droit.

- Je suis Ayden Brooks, je suis promoteur immobilier. Nous nous sommes déjà présentés pour l’élaboration du projet de « The West Hills ».

- Eh bien, Monsieur Brooks, je vous remercie pour vos félicitations mais ce n’est pas du tout nécessaire. Je suis contrainte de vous laisser, j’ai encore d’autres « numéros » à préparer, dit-elle en regagnant son bureau, toujours avec sa démarche féline.

Le dit Ayden ne put empêcher un sourire de déformer ses lèvres.

- Elle n’est pas très commode la fille de la patronne, surgit la voix de son associé dans son dos.

- Oui, elle a toujours été comme ça, déterminée et passionnée par ce qu’elle faisait, répondit-il.

- Tu la connais ?

- En effet…

C’était avec le cœur lourd qu’il quitta l’entreprise des West. Il commençait à trouver le plan de Charlotte complètement insensé ; tout ça ne mènerait à rien. Elle ne s’en rappelait même pas, c’était comme si elle l’avait effacé de sa mémoire. Lorsqu’il s’était présenté, il espérait qu’elle se souviendrait de lui, qu’elle lui sourirait comme elle savait si bien faire avant.

Il y a quelques mois de ça, la mère de famille était tombée sur une liasse de lettre adressée à son aînée. C’était la première fois qu’elle voyait celle-ci, il fallait dire qu’elles étaient bien cachées. Si elle n’avait pas décidé de mettre de l’ordre dans ses vieilles affaires, elle serait sans doute passée à côté de cette trouvaille plus qu’intéressante.
Certes, les écrits dataient de plusieurs années, mais elle réussit tout de même à déchiffrer les mots. Si les premières ne contenaient que tendresse, amour et mots doux, elle découvrit au fil de ses lectures que le petit Ayden, âgé de seulement vingt-deux ans à l’époque, était désarmé face au silence de sa bien-aimée. Le chagrin se ressentait encore plus dans la dernière lettre qu’il adressait à Blake, les traces de larmes qui avaient fait coulé l’encre en témoignaient.

Ce qui la chiffonnait était que toutes les enveloppes étaient encore scellées, elles n’avaient jamais été ouvertes.
Elle se rappela alors que c’était pendant cette même année que sa fille avait décidé de quitter New York pour une nouvelle vie en Californie. Elle avait prétexté qu’elle cherchait à être plus indépendante. Elle ne voulait, paraît-il, plus vivre aux crochets de ses parents et terminer ses études ailleurs.
Les raisons de son départ paraissaient peu à peu louches pour Charlotte.

Qu’avait-il bien pu se passer ?

Le Jeu de La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant