Chapitre 3 : Azalea

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Vingt ans plus tard :

Je m'étais absenté, au matin, afin de faire un rapport à Kendari, comme tous les cinq ans, sur la progression de mon travail auprès de Benson. Cela permettait de ne pas perdre de vue mes objectifs.

Kendari m'observait scrupuleusement alors que je fuyais son regard.

- Ton implication auprès de cet humain me perturbe, Azalea.

- Tu ne peux pas me le reprocher. Je fais mon travail.

- Oui. Bien sûr mais ton cœur, Azalea... ton cœur ne doit pas être au centre de ta mission.

Je baissais la tête, prise en faute.

- Je sais. Je ne sais pas pourquoi Benson est aussi spécial pour moi depuis son premier souffle. Au début, je pensais que la raison était que je n'avais pas eu la chance d'avoir d'enfant pendant ma vie sur terre.

- Mais ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ?

- J'en étais persuadé, Kendari. Je me suis dit qu'il représentait le petit garçon que j'aurais aimé avoir.

- Je ne t'accuse pas. Je t'assure. Seulement, c'est la première fois que j'assiste à cela.

- Est-il fâché contre moi ?

Elle fronça les sourcils avant de soupirer.

- Étrangement, non. Il n'a fait aucune remarque à ce sujet.

Soulagée de ne pas avoir attisé la déception de l'Éternel, je relâchais imperceptiblement la tension de mon âme.

- Que comptes-tu faire, à présent ?

Comprenant pas sa question, je fronçais les sourcils, perdue.

- Continuer mon travail auprès de lui, répondis-je.

- Tu ne comptes pas te mêler de sa vie ?

- Non, voyons. Ce n'est pas mon rôle. Je n'ai rien à faire dans sa vie.

- J'ai vu, année après année, ton amour pour lui naître jusqu'à te dévorer... cela me fend le cœur...

- Est-ce la première fois qu'un ange gardien tombe amoureux de son protégé ? questionnais-je perturber par ma propre situation.

- Pas à ma connaissance. Tu es la première selon moi et je ne connais pas les directives dans ce cas précis. Il faut que je me renseigne pour voir quoi faire de cette situation.

- Est-il possible qu'il me soit retiré ?

Elle posa une main sur mon épaule, compatissante.

- Il y a des chances, Azalea. Je suis désolée mais tu es trop attaché à cet humain pour avoir l'esprit clair.

Je hochais la tête, comprenant qu'elle avait certainement raison.

- De plus, tu en souffres. T'obliger à assister à ses relations n'est pas sain pour ton âme.

- Ce n'est pas un problème. Je t'assure. Je sais où est ma place, Kendari.

- Je ne t'accuse pas. Tu n'as pas besoin de plaider ta cause.

- Je ne veux, simplement, pas que tu te fixes sur cette donnée. Ce qui compte, c'est l'humain.

- Bien sûr. Laisse-moi, en discuter avec « le patron ».

- Très bien, soufflais-je.

- Retourne auprès de ton protégé en attendant. Je te préviendrais lorsque j'aurais plus d'informations pour la suite, d'accord ?

Je hochais de nouveau la tête et elle me prit dans ses bras avant de me quitter.

De retour sur terre, je me trouvais dans une rue commerçante. Benson et ses amis se trouvaient devant un garage à moto. Ils riaient à pleine gorge, bière à la main. Je remontais ma cape et posais la capuche au-dessus de ma tête. Personne ne pouvait me voir mais je ressentais tout de même le besoin de me cacher face au savoir de mes ainés sur les sentiments que je nourrissais pour mon protégé depuis si longtemps. Cela ne me ressemblait pas. J'avais toujours été professionnelle. Un ange gardien s'attachait à ses protégés mais savait garder ses distances avec ceux-ci. J'avais honte de mes sentiments pour Benson parce qu'ils étaient déplacés. Je n'avais pas le droit. C'était une faute grave qu'il me faudrait assumer.

La tête basse après cette conversation extrêmement gênante, je m'approchais du groupe. Je m'arrêtais non loin d'eux, comme je le faisais toujours afin d'avoir un œil sur Benson quand le silence se fit autour de moi. Ma capuche m'obstruait la vue mais n'y prêtait pas attention. Je sentais Benson. Il n'était donc pas parti. Il était encore là. Je ne pris, donc, pas la peine de relever le regard pour m'en assurer quand une paire de pieds entra dans mon champ de vision.

- Tu es qui, toi ?

Crispée, je fronçais les sourcils.

- Tu as entendu mon pote ? Qui tu es et pourquoi tu nous colles aux basques ? m'agressa la voix face à moi.

Perplexe, les hommes semblaient pouvoir me voir. Aurais-je oublié d'apposer mon voile ?

- Réponds !

Avant cette erreur, j'étais déjà dans de sales draps, mais, à présent, j'étais sûr qu'il m'allait être retiré. Nous n'avions aucunement le droit de nous révéler à nos protégés lorsqu'ils atteignaient l'âge adulte.

Je relevais la tête, lentement, me sentant fautive, jusqu'au visage de Benson, qui se trouvait à quelques centimètres de moi.

Lorsqu'il put me dévisager, il eut une réaction à laquelle je n'étais pas préparé qui me fit faire un pas en arrière.

Ses yeux s'écarquillèrent et il se figea, durant quelques secondes. Passer ce long moment, à mon sens, il captura mon visage entre ses deux mains et me scruta complètement immobile. 

Le choc pouvait se lire sur nos deux visages.

Une tonne d'émotion s'imprima, les unes après les autres, dans son regard. Cela m'étonna. Il ne devrait pas se rappeler de moi. Il devrait m'avoir oublié avec le temps. Mon visage aurait dû disparaître de sa mémoire. Pourtant, à cet instant, il semblait m'avoir reconnu. J'avais l'impression d'être un fantôme qui revenait d'entre les morts à ses yeux.

Il me relâcha ensuite pour faire deux pas en arrière, l'air complètement perdu. La culpabilité m'enserra la gorge de le perturber autant. J'avais failli... encore une fois.

Je tentais, alors, de fuir la situation afin de pouvoir me dissimuler derrière mon voile de transparence mais Benson me retint par le bras. Je zieutais derrière lui. Ses amis observaient la scène avec circonspection. Leurs regards allaient et venaient à Benson et moi, se questionnant sur le comportement de leur chef.

- Il est hors de question que je te laisse disparaître à nouveau, Lea. Une fois, ça suffit...

Deviation of the ritualOù les histoires vivent. Découvrez maintenant