Partie 2 - 10

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Lys


Lys fixa le pont qu'il avait en face de lui. De l'autre côté, la ville semblait totalement différente. Bien sûr, du haut de son château, il avait déjà vu qu'elle était plus sombre. Il en avait longtemps entendu parler également. Lors des longs repas auquel il était obligé d'assister, son père avait quelques fois abordé le sujet. Il parlait du problème que ces quartiers apportaient : les malfrats qui y pullulaient, les mendiants qui y vagabondaient et surtout, l'image que cela apportait. La famille royale avait les moyens de changer cela, bien sûr. Elle ne le faisait pas. Préférant entretenir une armée qui n'avait plus d'opposant, se satisfaisant de les cantonner à l'autre côté de la Rive. La garde était assez bien payée pour les empêcher de traverser. Ce jour-là, le Roi avait conclu en annonçant que chaque ville avait ses mauvais quartiers. Une conclusion qui signifiait que, finalement, l'image il ne s'en souciait guère.

Si Lys avait déjà vu de loin les mauvais quartiers, il n'en avait, en revanche, jamais eu l'odeur. Un mélange d'humide, de moisissure et tout un tas d'autres choses qu'il ne parvenait à déterminer. Même dans les recoins les plus sombres et oubliés du château, cette odeur n'existait pas. Il remonta un peu plus haut le foulard qui lui dissimulait déjà une partie du visage. Une veine tentation pour atténuer l'odeur.

Ses longs cheveux blonds soigneusement dissimulés sous une capuche, portant des vêtements les plus ternes possibles, le jeune homme hésita à traverser. Autant à cause de l'odeur qui lui parvenait, qu'à cause de la dangerosité que ce simple geste impliquait.

Malgré les nombreuses interdictions de son père, Lys avait, au fil des années, perfectionné son art à s'évader du château. Les rondes des gardes étaient toujours les mêmes, chronométraient à la seconde près. À force de les observer, il lui avait été aisé de trouver le meilleur moment pour sortir au meilleur endroit. Même Riva n'avait pu le retenir, bien qu'il dût s'en douter. Le maître d'arme n'était pas dupe. Son père, en tant que Roi, ne l'était sans doute pas non plus. Pourtant, il ne lui avait encore rien dit. Depuis ses dix ans, années où il avait enfin fait le pas de quitter l'enceinte protectrice du château seul, il n'en était plus à sa première sortie. Dissimulant à chaque fois son visage, personne encore à l'extérieur ne l'avait reconnu. Comment le pourrait-il de toute manière ? Les enfants royaux sortaient tellement rarement que beaucoup ignoraient à quoi ils ressemblaient. Si dans la ville leur existence était bien réelle, ailleurs dans l'Empire, les deux princes relevaient plus du mythe qu'autre chose. Lys avait déjà demandé pourquoi ils ne pouvaient sortir plus souvent – sous bonne garde bien sûr – de ce château.

« Vous sortirez quand vous en aurez l'âge et la force ! »

Telle avait été la réponse du Roi. Quel était le bon âge dans ce cas-là ? L'aîné n'avait pas attendu de le savoir. Caché sous sa capuche, il avait pris soin de visiter la ville, seul. En revanche, il n'avait encore jamais traversé la Rive.

Pour qu'elle raison exactement ?

Il n'était plus à un interdit prêt. Il avait déjà eu peur, de son père et sa colère, de son professeur et sa sévérité, de sa mère et son don à fermer les yeux lorsque le Roi décidé de lever la main sur lui. Ce n'était pas cette peur-là qui l'avait toujours retenu, empêché de traverser. L'excuse qu'il s'était trouvée était qu'il n'en avait pas encore eu l'occasion, ni la bonne raison pour le faire. Il savait qu'un jour où l'autre il allait devoir y mettre les pieds. En tant que futur roi il devait connaître chaque coin de sa ville. Il avait simplement attendu le bon moment.

Un moment enfin arrivé. Une occasion offerte à lui. Ce qu'il voulait, se trouver là-bas, de l'autre côté de ce fleuve, dans une des rues humides des mauvais quartiers : le seul créateur et machiniste susceptible de bien vouloir répondre à ses attentes.

Lys et VagabondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant