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Ramsey


Ramsey s'appuya sur le premier mur qu'il rencontra. Ses jambes tremblaient, il n'avait plus l'habitude de sortir de chez lui.

Depuis qu'on l'avait empêché d'exercer ce pour quoi il était fait, et qu'il avait été vivement incité à ne pas quitter la capitale, le vieil homme ne quittait plus sa maison. Cela remontait à de nombreuses années déjà. Même pour le nécessaire, il hésitait à sortir. Mettre le nez dehors, marcher dans les rues miteuses du mauvais côté de la ville, croiser les gardes qui lui rappelaient sans cesse qu'il était gardé à l'œil, tout cela, il préférait l'éviter. Être dehors lui rappelait sans cesse qu'il n'était plus en droit de créer des Dragons, à cause de ses idées.

Un jour, un jeune prince était venu, intéressé par ces mêmes idées. Il lui avait demandé un Dragon, un que lui seul, malgré son âge avancé, était capable de faire. Ce jour-là, Ramsey avait senti un air de changement se lever. Des changements qu'il avait longtemps attendus. Des changements qu'il espérait positifs.

Ce qui venait de se produire à Zownorha n'avait rien de positif. Une ville attaquée en pleine fête, des bâtiments brûlés, détruits, des vies enlevées. Même le palais avait été pris pour cible. À l'heure qu'il était, la famille royale devait être soit morte, soit enfermé au fin fond d'un cachot. Le vieil homme n'allait pas verser une larme pour un Roi qu'il méprisait. Ce même Roi avait trop longtemps surestimé sa puissance, celle de son Empire. Il se souciait peu de son peuple. Ce constat se voyait au sein même de la capitale. Dans un monde idéal, les différences entre les deux côtés de la Rive n'auraient jamais existé.

Si Ramsey n'appréciait guère ce Roi et sa famille – hormis le jeune prince à la tête pleine d'idées, et révolutionnaire sur les bords – il ne souhaitait pas un tel destin pour autant. Tant de personnes avaient perdu la vie pour une simple question de pouvoir. Qui avait été attaqué ? Qui siégeait sur le trône à présent ? Il n'y avait pas de réponse à cette question. Personne n'était sortie du palais pour revendiquer la tête de l'Empire. Quel genre de pouvoir ces envahisseurs allaient-ils imposer ? Au vu de leur entrée en ville, cela n'annonçait rien de bon. Ils pouvaient bien être de parfaits sauveurs, aux idées neuves, prêts à tout pour l'Empire, ils avaient commencé en détruisant la capitale et en tuant trop de personnes. Pour cela le peuple ne pouvait avoir confiance en eux, qui qu'ils soient. Une crainte saignerait toujours, même après des jours, des mois ou des années.

Avec ce genre de pensées, Ramsey aurait dû rester chez lui. Par chance, le « mauvais côté » de la Rive avait été épargné. Son humidité, sa moisissure et la puanteur ambiante, ne présentait pas assez d'intérêt pour y consacrer du temps. Du moins, pour le moment. Ce manque d'intérêt ne durerait pas éternellement. Même si la Rive les séparait, ce côté-là faisait toujours parti de la capitale. Un jour où l'autre, les usurpateurs de trône viendrait visiter ces rues, cherchant le moindre intérêt qu'ils pouvaient leur trouver. Avant cela, le vieil avait besoin de constater, de voir de ses propres yeux, de se renseigner. Qu'était devenue la capitale, quelques jours après cette invasion ? Verrait-il le visage du nouveau propriétaire du trône ? Quel bâtiment était encore debout ? Comment allait l'Académie ? Restait-il des Dragons... Même s'il en avait été éloigné, ces créatures, tout comme les machines créées, étaient toute sa vie. Les savoir en danger, anéantit, détruite ou volé, lui brisait le cœur.

Mais en sortant de chez lui, il avait oublié son âge avancé et ses jambes le portaient difficilement. Chaque pas s'accompagnait de tremblement et d'incertitude. La vieillesse le rattraperait avant même qu'il rejoigne l'un des ponts permettant de traverser la Rive.

Ramsey aurait sans doute mieux fait d'attendre chez lui, que l'orage passe. Et pourquoi ? Quel avenir ?

Toujours en se tenant au mur, il fit un nouveau pas. Sa main, habituée à l'humidité, à la roche glissante, ou au bois pourrit, rencontra une surface plus douce, plus sèche. Une matière qu'il était rare de croiser de ce côté-ci de la Rive. Lui, la connaissait, il y était habitué, les vagabonds des rues, non. Il releva ses yeux fatigués vers le mur. Des affiches avaient été placardées un peu partout et même au-delà de la rue qu'il empruntait. Un rire monta et l'homme le laissa s'échapper. Il était idiot d'afficher quoi que ce soit de ce côté-ci. Une perte de temps et de moyens. Rares étaient les personnes sachant lire et personne ne s'intéresserait à un vulgaire bout de papier collé au mur. Il ne se mangeait pas, quel intérêt pouvait-il bien avoir ?

Ramsey savait lire et il s'y intéressa. Les ravageurs de la capitale étaient finalement déjà venus de ce côté-ci et il y avait une bonne raison. Les avis de recherches sur papier n'étaient pas chose courante à l'Empire. Comprendre son intérêt restait tout de même plutôt simple. Ses lèvres remuèrent alors qu'il lisait rapidement les quelques lignes inscrites. Il s'attarda surtout sur le portrait qui avait soigneusement été dessiné. Ce visage lui était famille. Au-delà du rang qu'il occupait, il l'avait déjà vu, plusieurs fois, à son propre domicile.

Le prince héritier !

Ce jeune homme, prêt à devenir un roi différent, ce prince marchant hors des sentiers battus, ce même prince qui lui avait demandé un Dragon, ne se trouvait pas au palais. Sa tête placardée partout dans les rues prouvait sa disparition. Il n'était pas entre les mains de ces envahisseurs. Mort ? C'était possible, quoi qu'un corps aurait sans doute été retrouvé. Quelques parts dans la nature ? Sans aucun doute. Que toute la famille royale ne soit pas morte ou au fer relevait du miracle. Un espoir inespéré, une lueur dans l'obscurité, une possibilité de changement, encore. Ramsey le voyait ainsi. Si le prince héritier était capable de reprendre le trône qui lui revenait de droit, alors l'Empire avait l'espoir d'un avenir plus doux et serein. Mais le vieil homme était un éternel rêveur.

Le prince, où qu'il soit, ignorait qui était à l'origine de tout ce malheur. Sa puissance, sa volonté. Même les habitants de Zownorha – ceux qui avaient eu la chance de voir le jour se lever – n'avaient pas la réponse à ces questions. Alors que pouvait faire un jeune prince, seul ? Peut-être pouvait-il avoir le reste de l'Empire derrière lui. Peut-être pas. Il y avait bien trop de points d'obscurité dans cette histoire. Cet avis de recherche restait, aux yeux de Ramsey, une lueur brillante, une lumière à ne pas négliger. Et du haut de ses petites jambes tremblantes, il pouvait ajouter quelque chose à ce faible espoir. Il pouvait apporter son aide. Le prince lui avait un jour demandé un Dragon. Sans l'animal qui l'animait, il ne servait à rien. Mais s'il y avait le moyen d'avoir ce reptile, alors il devenait une arme redoutable. Ses idées avaient été rejetées par le Roi, mais acceptées par l'héritier. Il n'avait pas besoin de fer-dragon pour créer sa machine. Il n'avait pas besoin non plus des vastes salles de l'Académie. Tout ce qu'il fallait, c'était son esprit, ce qu'il avait longtemps gardé pour lui. Il avait déjà commencé un Dragon pour le Prince, il pouvait en faire un autre, si le temps le lui permettait...

Ramsey arracha l'affiche qu'il avait sous la main.

Oui, il pouvait venir en aide à l'héritier. Une petite aide, ce n'était qu'un faible espoir, mais il refusait de voir l'Empire brûler entre les mains d'inconnus voulant un trône. Il devait tenter quelque chose. Il devait retrouver le prince, avant que d'autre ne mettent la main sur lui.

Ramsey était vieux, fatigué, la vie même lui manquerait sans doute, il devait tout de même essayer. Apporter sa pierre à l'édifice qui se dresserait pour sauver l'Empire. Beaucoup de questions et d'incertitudes, il le savait. Mais il sentait une énergie nouvelle monter en lui. S'il devait croire en quelque chose, c'était en ce prince qui était un jour venu le voir, répondant à un caprice d'enfant obstiné.

Il devait apporter un Dragon à ce même prince. Et pour cela, il devait quitter la capitale. 

Lys et VagabondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant