15.2

12 3 0
                                    

Dans un coin de l'immense salle, sur une estrade de bois ciré, des musiciens jouaient. La musique était belle en soit, joyeuse, entraînante, adaptée à l'événement de la soirée. Lys avait aucune envie de l'écouter et de la suivre. Tout ce qu'il voulait, c'était fuir cette salle de réception et rejoindre sa chambre. Les conventions exigeaient qu'il reste là, bien présent et le plus souriant possible.

Posé dans son coin, évitant toutes conversations possibles, il observa la scène qui se déroulait devant lui. Tout l'espace était occupé par des danseurs. Des invitées, accompagnées de leur cavalier, dans leur robe somptueuse, suivant le rythme de la musique. Elles suivaient toutes la même chorégraphie, une qu'elles connaissaient par cœur. Elles donnaient l'impression de s'être entraîné des heures. Ce n'était pas le cas, pas forcément. C'étaient simplement les mêmes danses, à chaque fois, réception après réception. Lys n'aimait pas danser, il était même un piètre danseur. Répondant encore et toujours aux conventions, il avait pourtant été obligé d'ouvrir le bal. Tout jeunes qu'ils étaient encore, lui et sa peut-être future promise, avaient été les premiers à suivre le rythme de la musique. La jeune fille avait fait tourner sa robe pleine de paillettes, lui l'avait guidé. Pour cette danse, il ne le cachait pas, il avait dû s'entraîner. Il n'avait pas eu le choix, il ne devait pas faire un seul faux pas. Tout au long de cette danse, il s'était concentré pour ne pas se tromper et avait entendu qu'une seule chose : la fin de la danse. Il s'était ensuite enfui et réfugier dans un coin reculé de la salle.

Toujours là depuis, il releva les yeux vers la jeune fille en question avec qui il avait partagé cette fameuse danse. Il la connaissait depuis quelques heures à peine, rencontrée plus tôt lorsqu'ils étaient arrivés au palais. Ils avaient été assis à côté lors du grand banquet, une stratégie pour qu'ils se parlent, qu'ils apprennent à se connaître, que Lys se fasse un avis, peut-être directement un choix. Oui, dans son malheur de mariage obligatoire, l'adolescent avait encore la chance de pouvoir choisir, lui. Même si ses parents aiguillaient les choix, il pouvait encore dire oui ou non. Un choix que la promise n'avait pas. Si c'était un oui, elle devait accepter sans discuter.

Cette fille en question n'avait que dix ans. Plus jeune que lui, de trois ans seulement mais il trouvait cela bien trop jeune pour penser au mariage. Fille du Gouverneur de la deuxième ville la plus importante de l'Empire – le couple royal ne choisissant pas au hasard et visant au plus haut dès le début ! – elle n'était pas désagréable à regarder. Pas très grande, blonde comme lui, avec des cheveux légèrement ondulés et surtout correctement coiffés. Malgré sa finesse et son esprit mature pour son âge, elle gardait tout de même des traits enfantins. Des joues rondelettes, un regard qui gardait une certaine naïveté, des pas parfois incertains, surtout dans ces chaussures aux talons qui semblaient trop hauts. Ils avaient échangé quelques mots entre deux bouchés du plat. D'un point de vue caractère, ils n'avaient rien en commun. Lui avait ce côté rebelle, qui voulait sortir des conventions. Certains le qualifieraient même d'un peu « sauvage ». Cette caractéristique lui convenait. On ne le voyait pas comme un prince, un héritier, c'était parfait. Elle, Harmony de son prénom, ne quittait pas le chemin tracé pour elle. On voyait qu'elle respectait chaque consigne donnée, elle appliquait avec précision tout ce qu'elle avait appris. Elle savait qu'elle devait se tenir ainsi, parler ainsi et pas autrement. Même devant lui, alors qu'ils n'avaient que trois ans d'écart, encore des enfants, elle lui parlait avec un respect, avec cette retenue obligatoire, dû à son rang d'héritier. Tout cela avait rendu leur conversation plate, sans saveur. La soirée n'était pas terminée, tous s'amusaient encore, parlaient, dansaient. Lui savaient déjà qu'ils avaient fait le déplacement pour rien. Au-delà du fait qu'il ne voulait pas encore penser au mariage, il savait sans hésitation qu'il ne voulait pas de cette fille à ses côtés sur le trône. Qu'elle soit de bonne famille, fille du premier Gouverneur, homme le plus important après le Roi, n'y changerait rien. Il ne voulait pas d'elle.

- Tu regardes ma sœur comme tu regarderais un pot de fleurs vide. Un intérêt de courte durée qui sera oublié dès le lendemain.

Lys sursauta. Il avait tout fait pour montrer qu'il ne voulait parler à personne, il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un vienne tout de même. Il se retourna, prêt à assassiner du regard celui qui venait de le déranger.

Ma sœur ? C'était ce qu'il avait dit ? Il le vit. Évidemment c'était lui. Dans l'obligation de suivre la famille – toujours ces mêmes conventions – il était arrivé à la capitale quelques heures plus tôt. Il avait dû se présenter au même titre que les autres. Khor, aîné du Gouverneur, déjà majeur, prêt à être marié et sans promise encore. Il l'avait vu lors du repas aussi. Il avait été installé non loin de sa sœur et de son père. Ils n'avaient pas échangé un seul mot, il avait vaguement entendu sa voix, rien de plus. Lys ne s'était pas intéressé à lui plus que cela.

Au-delà du dérangement, il fut étonné que Khor vienne le voir.

- C'est dur de prendre une décision quand on parle de mariage, non ? Je n'y arrive pas non plus, au grand désespoir de mon père.

- Le mariage ne m'intéresse pas.

- Avec ma sœur ? Je te comprends parfaitement. Elle ne le montre pas mais c'est un vrai monstre et un tyran.

- Tant que ça ?

- Tu as un petit frère, tu ignores ce que c'est d'avoir une sœur. Crois-moi, je sais de quoi je parle.

- Mon frère peut être tyrannique lui aussi, cela ne m'empêche pas de l'aimer quand même.

- Passe ne serait-ce qu'une journée avec ma sœur, et tu verras.

Lys porta de nouveau son attention sur la jeune fille. N'ayant plus de cavalier, elle attendait assise, auprès de sa mère. La soirée semblait longue pour elle aussi. Elle avait appliqué tout ce qu'on lui avait enseigné pour plaire au prince, malgré ses dix petites années, et cela n'avait pas fonctionné. Comme son frère l'avait malheureusement bien dit, elle était aussi intéressante qu'un « pot de fleurs vides ».

- Ça ira, merci. Comme je te l'ai dit, le mariage ne m'intéresse pas et je ne choisirai pas Harmony comme promise. Je suis désolé de la décevoir.

- Ne le sois pas, elle trouvera quelqu'un d'autre.

- Mais pas un prince.

Le blond détourna le regard. Khor avait raison. Des princes dans ce pays il n'y en avait pas des dizaines. Et de futur roi, il n'y en avait qu'un seul. Cette jeune fille n'aurait sans doute pas le futur qu'elle s'imaginait à ses côtés, parce que lui disait non.

- Pourquoi le mariage ne t'intéresse pas ?

- Je n'ai que treize ans, est-ce que ce n'est pas trop tôt pour penser à ce genre de chose ?

- Il n'est jamais trop tôt pour les conventions.

- Alors je dirais que j'ai d'autres centres d'intérêts.

- Comme quoi ?

Lys posa un regard presque méfiant sur le jeune homme de cinq ans son aîné.

- Je te trouve bien curieux à mon égard pour un simple fils de Gouverneur.

- Premier Gouverneur pour être plus précis. Ça me place au-dessus des autres fils de Gouverneurs.

- Prétentieux en plus !

- Je plaide coupable, mais qui ne joue pas de sa position quand il le peut ? Même toi, tu viens de le faire pour échapper à ma question.

Khor avait encore raison. Décidément, Lys ignorait comment il devait réagir : en tant que prince, en tant que simple adolescent, autrement ?

- Et toi ? Pourquoi il n'y a ni mariage, ni même promise ? Questionna-t-il pour détourner le sujet de lui.

- La réponse est simple : je n'ai pas encore trouvé la bonne personne. Il faut dire aussi que mon père ne me présente toujours que le même type de personnes. De jeunes femmes qui ne cherchent que la fortune que je pourrais leur apporter en prenant la succession de mon père.

- Et qu'est-ce que tu recherches comme jeunes femmes ?

Le jeune homme eut un sourire plutôt... Étrange, voir même mystérieux.

- En fait... Je ne pense pas rechercher de jeunes femmes...

Lys et VagabondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant