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Vagabond

L'eau était glacée. Il ne s'était jamais baigné, il comprenait pourquoi. Après tout ce temps, il s'était habitué à la crasse.

- Pourquoi est-ce que je dois me tremper là-dedans ? C'est glacé !

- Pour le bien de mon nez.

Vagabond claquait des dents, alors que la vieille femme lui lança quelque chose dans le bac d'eau qui lui servait de baignoire. Un objet ovale, blanc, moins lourd qu'une pierre. Il lui glissa des mains lorsqu'il voulut l'attraper. Au deuxième essai, il parvint à le garder. Une légère odeur se dégageait de l'objet. Une odeur qu'il était rare de sentir de son côté de la Rive.

- Qu'est-ce que c'est ?

- On appelle ça du savon. Frotte-toi le corps avec.

- Pourquoi ?

- Pour le bien de mon nez, encore une fois.

L'enfant suivit la demande de cette femme. D'abord étonné de découvrir la fine couche de mousse et les bulles, il trouva ensuite cela plutôt agréable. Se frotter pour enlever boue et poussière permit à son corps de se réchauffer. Il y passa du temps, sans être préoccupé par la présence de la femme.

Ils étaient dans une bâtisse qui possédait deux pièces seulement. Un endroit plus meublé que le premier où elle l'avait caché. Surtout, il était de son côté de la Rive. Malgré la poussière présente, l'endroit paraissait plutôt propre et bien rangé. Comme quoi, ce genre d'endroit, agréable et saint, existait aussi de ce côté-là du fleuve. La vieille dame avait fermé les rideaux devant chaque fenêtre, dissimulant sa présence dans cet endroit.

L'étonnement frappa Vagabond lorsqu'il découvrit une peau plus blanche que prévue. Il avait l'impression de découvrir son propre corps.

- Est-ce que tout le monde à la peau aussi blanche ?

La femme rigola sans se cacher. Son ignorance et son innocence étaient donc si amusantes ?

- Non, bien sûr que non. Tout dépend de tes origines. Il paraît que de l'autre côté de la mer, des hommes et de femmes naissent avec la peau aussi noire que le charbon. Ce n'est pas de la saleté, seulement une couleur de peau naturelle.

- Je n'ai jamais vu de telles personnes.

- Moi si, une fois. Des marchands venus en ville. C'était il y a longtemps. Peu traversent la mer, par crainte sans doute.

Il reposa le savon à côté du bac. La saleté avait quitté son corps. La sensation était aussi étrange, que plaisante.

- Qu'est-ce que c'est « la mer » ?

- Une grande étendue d'eau salée qui sépare l'Empire, d'autres terres plus lointaines.

- Je n'ai jamais vu la mer non plus...

De sa main osseuse, elle lui tendit un grand carré de tissu. Elle n'eut pas besoin d'expliquer pour qu'il comprenne que c'était pour s'essuyer. Il se leva, ne se préoccupant pas de sa nudité, ignorant que certains pouvaient éprouver une certaine pudeur. Après avoir fait quitter la saleté de son corps, il s'entreprit à enlever chaque goutte d'eau qui recouvrait son corps.

- Qu'as-tu déjà vu ? Interrogea-t-elle sans le regarder.

Il cessa son geste, prenant le temps de réfléchir.

- J'ai vu... La pourriture ronger les murs, la beauté des fleurs de l'autre côté. Un corps s'effondrer pour ne pas se relever. Ce que les gens appellent « un Dragon » survoler le toit des maisons. J'ai vu un homme en frapper un autre parce qu'il avait fouillé dans la même poubelle que lui. Une femme attirer un homme à lui, pour le faire rentrer dans un bâtiment. J'ai déjà vu des hommes armés jeter un corps dans l'eau pour qu'il soit emporté par le courant. Je me suis déjà endormi à côté d'un autre enfant, qui ne s'est jamais réveillé le lendemain. J'ai déjà vu la pluie, plusieurs fois, la neige aussi. Je n'aime pas beaucoup la neige... J'ai déjà vu des jeunes bien nés s'amuser à traverser la rive, par défi, et voler quelqu'un qui essayer de gagner quelques pièces.

Lys et VagabondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant