Poudre

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La ruelle était calme. Noire, crasseuse, puante et calme.

Une ruelle pavée comme une autre à Port-Bleu, perdue dans l'immensité de la ville, oubliée de tous, loin du port bruyant et du centre coloré.

Malgré l'absence de lanternes en cette sombre nuit, la lumière étrangement bleutée de la lune dévoilait une fille de joie fatiguée, assise sur le perron d'une porte. Un homme appuyé contre un mur, figure dans l'ombre. Et Jet.

Tunique blanche ajustée.

Pantalon marron, pli apparent.

Cheveux bruns soigneusement coiffés.

Souffle calme et regard noir.

Monsieur le chien à ses pieds.

Jet s'avança calmement, le bruit de ses bottes troublant la quiétude des lieux. Monsieur le chien le suivit, pic-pic-pic lorsque ses pattes foulaient les pavés. La fille-à-vendre leva les yeux vers lui alors qu'il la dépassa, mais elle ne fit pas même l'effort de lui servir la promotion de son corps. Corps qui semblait usé jusqu'à la corde, par ailleurs. Cheval, cette fille devait avoir vingt ans tout au plus ! Cinq de moins que lui, et déjà à moitié morte, rongée par les poudres et la tristesse.

Jet ne s'en émut pas. Il avait vu ça par le passé, et il n'avait plus l'énergie de pleurer pour elle. Il s'approcha de l'homme appuyé contre le mur, qui faisait rouler une pièce entre ses doigts. Son visage était toujours plongé dans la pénombre mais Jet savait qui il était. Branco. Branco le poudrier.

L'homme ne lui accorda son attention que lorsqu'il se planta devant lui. Branco leva paresseusement la tête et le fixa d'un air interrogateur. Âgé d'une quarantaine d'années, il avait des cheveux blancs et des traits burinés, mais son regard était vif et sa peau en bon état. Il ne touchait pas à sa marchandise. Dans le cas contraire, il n'aurait pas atteint cet âge. Ni la position qu'il occupait dans la cité.

Jet savait qu'il ne fallait pas s'arrêter au contexte de cette rue miteuse et à l'apparence banale de cet homme. Branco était quelqu'un d'important, ici. Il possédait plus ou moins ce quartier de Port-Bleu. Il commerçait avec les grandes figures de la région. La rumeur voulait qu'il soit un ami intime de la régente Elise.

Jet lui montra deux doigts.

— Couleur ? lui demanda Branco en reniflant.

— Bleu.

L'homme cracha par terre et leva un sourcil.

— T'as de quoi payer ?

— Ouais, mentit Jet.

Branco resta immobile un instant et le fixa durement. Fort heureusement, il ne demanda pas à voir la couleur de l'argent immédiatement. Il désigna d'un signe de tête une porte rouge à la peinture écaillée quelques pas plus loin. Jet hocha la tête et le suivit sans un mot, accompagné par Monsieur le chien. Branco ouvrit doucement la porte et les fit entrer dans une sorte de cuisine.

La pièce était faiblement éclairée par une lanterne vacillante fixée au plafond. Une grande table occupait l'essentiel de l'espace. Un plan de travail longeait un pan de mur entier. Des poudres vertes, bleues, rouges et roses sur la table, en grandes quantités. Parfois dans des sachets de toile, parfois non. De l'argent, aussi. Beaucoup de pièces éparpillées sur la table. De quoi nourrir une famille pendant des mois.

Un homme au fond de la salle, assis sur une chaise de bois pourri. Grand, chauve, bras musclés dépassant de sa tunique aux manches découpées. Une dague à la main.

Un deuxième homme assis à côté de la porte, juste à droite de Jet. Longs cheveux blonds, balafre lui barrant le visage. Couteau à la ceinture. Regard moqueur.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant