Rendez-vous

98 18 2
                                    

— De quoi j'ai l'air ? demanda anxieusement Téo.

— T'es parfaite, lâcha Lemon sans ralentir le pas, ni même se tourner vers elle.

Téo pressa l'allure pour ne pas se faire distancer. Les chaussures de soirée qu'elle avait choisies étaient plates, mais elles n'étaient pas des plus adaptées pour arpenter les pavés accidentés du quartier des tavernes.

Elle portait une robe rouge à la coupe sage, descendant bien au-dessous des genoux et sans décolleté et n'avait pas mis de maquillage. Cela n'empêchait toutefois pas les hommes accoudés aux tables extérieures de la suivre du regard. Le milieu de la nuit était déjà passé, et les esprits commençaient à s'échauffer. Elle se tint donc proche de Lemon.

— J'suis assez élégante pour l'endroit ? reprit-elle.

Cette fois, son compagnon fit halte, une expression déroutée sur le visage.

— Assez élégante ? Téo, on va dans un bordel. Tu imagines ça comment ?

— Je sais pas. Les filles sont belles, là-bas, non ? C'est un peu le principe.

— J'imagine, fit Lemon en chassant une mèche de cheveux blonds derrière son oreille. Mais je ne pense pas que ça soit un prérequis pour les clients.

Téo fit quelques pas autour de lui et leva des yeux amusés vers lui.

— Tu imagines ? T'es pas un habitué ?

— Ben non. Pourquoi est-ce... Ah oui, pardon, j'avais oublié que tu me voyais comme un noble arrogant. Eh bien, sache que malgré la richesse de ma famille, je ne fréquente pas les bordels. Je suis une sorte d'incongruité parmi les riches, vois-tu.

— Très drôle, répondit Téo avec une grimace. Et tu utilises "incongruité" maintenant ?

— Oui, j'essaye d'apprendre un nouveau mot par jour. Je serai bientôt capable de comprendre ce que tu me dis.

Les deux gardes fraîchement titularisés se regardèrent un instant, sourire au bec. Ils décidèrent de reprendre leur route alors qu'un soûlard leur jeta un verre de bière dessus. Leur marche fut courte, l'établissement qu'ils recherchaient ne se trouvant qu'à une rue de là.

Le "Rendez-vous d'affaires".

Façade peinte en noir de suie, volets clos, lumière filtrant par les interstices de la lourde porte d'entrée. Cette dernière était fermée également. Un homme montait la garde, assis sur un tonneau. Chauve et maigre, il avait toutefois belle allure, vêtu d'un costume de bon tissu et de chaussures sans doute plus chères que la plupart des maisons du quartier.

Il les regarda arriver d'un œil suspicieux, ne cherchant pas à les rabattre dans son établissement. Téo et Lemon durent se placer à un pas de lui pour qu'il daigne enfin descendre de son tonneau et leur adresser la parole, non sans les avoir dévisagés de la tête aux pieds.

— Le code ? demanda-t-il comme s'il s'agissait d'un nouvel examen de passage.

Téo, surprise, bredouilla quelques sons incohérents et le chauve leva les yeux au ciel. Il entreprit de se rasseoir mais la main de Lemon s'abattit sur le tonneau avant qu'il n'ait repris place. Une main pleine de pièces.

— Voilà le code, fit Lemon. J'veux rentrer et j'ai les poches pleines. Ça conviendra ?

L'homme considéra la somme, qui représentait nettement plus que la récompense qui avait été allouée aux nouveaux gardes. Il finit par hocher la tête.

— Ca conviendra.

Téo poussa un soupir de soulagement tandis que le portier se dirigea vers l'entrée.— Vous rentrez tous les deux ? demanda-t-il tandis qu'il et s'affairait sur la serrure— Oui, répondirent les deux gardes en chœur.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant