Jet reprit connaissance, à son grand regret.
Son corps n'était que douleur. Ses muscles le tiraillaient, il souffrait d'un mal de crâne à peine supportable et son estomac menaçait de se vider à tout instant. Il était déjà passé par là à de nombreuses reprises, et il savait que ça n'irait pas en s'améliorant avant plusieurs heures.
Combien de verres... non, combien de bouteilles avait-il descendues la veille ? Trop, manifestement. Il ouvrit ses yeux à grand peine et constata qu'il était plus tôt que ce qu'il avait imaginé. En effet, malgré la température clémente, l'aube commençait à peine à poindre et la lune était toujours bien visible dans le ciel.
L'astre lui parut l'espace d'un instant scintiller d'une faible lumière bleue, telle qu'il n'en avait jamais vu jusqu'alors. Le scintillement décrut et Jet hocha la tête, dépité de son état lamentable. Cette fois, il allait vraiment falloir qu'il arrête de boire.
Cette pensée lui causa un haut-le-cœur qui n'avait pas grand chose à voir avec la quantité d'alcool que son corps essayait d'éliminer. Une sorte de peur primale, une prise de conscience qu'il n'arriva dans un premier temps pas à conceptualiser.
Puis, petit à petit, il parvint à une sorte de révélation. Une pathétique épiphanie.
Jet savait où il était. Mais c'était à peu près tout.
Balayant la ruelle faiblement éclairée du regard, il sut instinctivement qu'il se trouvait dans une des allées populaires de Port-Bleu. Une de celles qui abritait les meilleurs bars, ceux qui servent un alcool fort et bon marché. Il aurait été capable de réciter le nom de chaque échoppe, de dire quelle serveuse travaillait dans chacun d'entre eux, et de pointer du doigt l'endroit où les pavés s'étaient brisés et attendaient d'être réparés, un peu plus haut et après le virage.
Mais il ne savait pas comment il était arrivé là la veille. Ni ce qu'il avait fait les jours précédents, pas plus que les mois avant cela ou cette année. Quelle année était-on d'ailleurs ? Jet ne savait pas quand il était.
Un homme passa par là et ne lui adressa qu'un regard méprisant quand Jet tenta de le héler. Son chien le suivait à quelques pas de distance, et tous deux disparurent en s'enfonçant dans la ville.
Jet tenta de faire quelques pas mais la tête lui tourna, sous l'effet de l'alcool et du choc émotionnel. Choc qui devait être dû à l'alcool,, par ailleurs.
Puis des images traversèrent son esprit, à la manière d'un couteau cranté déchirant ses chairs. La douleur était trop brûlante pour qu'il puisse clairement comprendre la scène qui défilait devant ses yeux, mais il se vit à bout de forces, tenant une femme dans ses bras.
Son sentiment de malaise s'intensifia, et il dut s'appuyer contre un mur poisseux pour ne pas tomber. Il se mit à pleurer, doucement d'abord, puis plus fort. Cette femme, brisée, c'était sa femme, n'est-ce pas ? Comment pouvait-il en être autrement ? Que s'était-il passé ?
Il se laissa doucement tomber le long du mur et s'assit, prenant sa tête dans ses mains, cherchant à replonger plus profondément dans cette scène, à mieux la comprendre. Mais la douleur était trop forte. Il pleura de plus belle.
— Je vois que tu es de retour.
Jet leva la tête et regarda de droite et de gauche sans voir celui qui lui avait parlé. Une forme sortit des ombres sur sa gauche et vint se poster paisiblement à côté de lui.
Le chien était revenu.