Un truc de bonhomme

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Nouveau jour, nouveau réveil aux aurores.

Deux jours depuis son passage chez le poudrier, et toujours pas de trace d'un garde. Efficace, cette milice.

Jet se leva et fit son lit, puis il enfila pantalon et tricot de course. Monsieur le chien l'attendait près de la table de la cuisine, langue pendante.

— Salut. T'as faim ?

Bien vu, crétin. Incroyable, hein ? Tu nourris pas un chien, et le lendemain il crève la dalle !

Jet se contenta de lever les yeux au ciel et ouvrit le garde-manger. Il ramena fruits et pain, payés avec l'argent de Branco. Puis il alla chercher un gros bout de viande séchée et fit mine de le poser par terre.

T'avise pas de faire ça, le prévint le chien.

— Faut que t'arrêtes avec cette lubie de manger à table. T'es un animal. Qu'est-ce qui se passera si quelqu'un arrive et nous voit assis face à face ?

Excusez-moi, monseigneur. J'avais pas vu que vous étiez sur le point de donner une réception.— Pas de sarcachme, fit Jet en croquant dans une pêche bien mûre.

Il posa néanmoins la viande sur la table. Le chien monta sur une chaise et en arracha un bout.

Sérieusement, Jet, faut qu'tu t'mettes à voir des gens.

— Mmh, grogna l'homme.— La fille d'hier, par exemple. La p'tite blonde, elle était... Hé ! Ne me tourne pas le dos. NE M'IGNORE PAS, PAUVRE TARÉ !

Jet s'était levé pour attraper un torchon et avait commencé à nettoyer la table. Il posa le bout de tissu et regarda Monsieur le chien avec l'ombre d'un sourire.

— T'es un méchant p'tit chien. J'vais courir.

XXX

Quelques dizaines de foulées à travers la fausse-ville. Cabanes en bois pourri, herbes hautes, visages tristes. Puis la vue plongeante sur la ville, du haut de sa butte. Au-dessus, le château plein de gardes idiots. En-dessous, alcool, poudre, vice et puanteur.

La fausse-ville entre les deux, bâtie à l'écart de la route, plus proche de la forêt que de la civilisation. Pour les habitants de la cité, un repaire de marginaux, d'animaux. Une semaine qu'il habitait là.

Jet entama la descente de la Grand Rue d'un bon pas. Il croisa des tas de gardes en gris ou bleu et blanc. Vers la fin de la descente, il vit la fille de la veille, cheveux blonds nattés. Elle parlait à un jeune gars de son âge. Longs cheveux blonds ridicules, grand sourire. Un autre garçon du même tonneau vint les saluer. Ils ne remarquèrent pas Jet.

Il continua vers le port. La ville se réveillait doucement. Jet traversa les rues comme une lame chaude pénètre la chair. Vivement, violemment. Il accéléra et fit monter son rythme cardiaque à l'approche du port. Une fois arrivé sur le quai, il constata les dégâts des fêtes avinées de la veille. Du verre brisé par terre, une poubelle renversée, un homme endormi sur le sol. Tout un tas d'ordures, en somme.

Jet fit une pause le temps de dix inspirations, puis se dirigea en trottinant vers une minuscule rue qui serpentait vers l'intérieur de la cité. Il n'y rencontra personne. Normal à cette heure-là. Là, il passa devant plusieurs établissements de nuit aux volets de bois fermés. Il poursuivit son chemin et s'arrêta devant une petite échoppe à la devanture rouge vif. Le Point Rouge. Un bordel.

Il en visiterait un bientôt. Ça faisait partie de sa liste de choses à faire. Peut-être celui-là, peut-être pas. Il ne savait pas encore. Mais pas ce soir.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant