Spectacle

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Rien n'allait.

Téo avait mal aux pieds à cause de ses talons. Le laçage de sa robe lui comprimait le dos et la poitrine. Les lumières vives des lanternes faisaient perler des larmes à ses yeux, qui risquaient de faire couler le maquillage que sa mère lui avait mis. Elle se sentait gauche, laide et fausse dans cette tenue, au milieu de tous ces gens si sûrs d'eux.

Hommes en costumes, femmes habillées de tissus somptueux. Toutes grâce, charme et regards assurés, virevoltant sur leurs talons deux fois plus hauts que ceux de Téo. Faisant voler leurs chevelures soignées, jouant de leurs formes de femme quand elle n'était guère plus qu'une adolescente.

Personne ne se souciait d'elle, bien que plusieurs centaines de personnes se trouvaient là. Elle devait avoir l'air d'un souillon. Une quelconque fille de peu qu'un noble en quête de divertissement aurait conviée à une soirée bien au-delà de son rang.

Ce qui, à bien y penser, était une description plutôt appropriée de la situation.

L'opéra était magnifique. Téo se plongea quelques instants dans la contemplation de l'édifice afin de paraître occupée à quelque chose. Ses sept colonnes étaient surmontées par un chapiteau de pierre sur lequel des runes étaient gravées. Des lanternes multicolores avaient été accrochées tout au long de l'entrée principale à l'occasion de la représentation. Jaunes, rouges, vertes. Téo les fixa un peu trop longtemps et son regard s'embua de nouveau. Elle écrasa une larme d'un doigt en détournant le regard, espérant ne pas avoir gâché le travail de sa mère.

Cette dernière était tellement contente que Téo soit invitée au spectacle qu'elle avait failli en pleurer de joie. Sa famille n'était pas pauvre, et ils vivaient confortablement, mais pas au point de pouvoir assister aux galas de la troupe Aparicio. Ce genre d'événements étaient réservés aux plus riches. Les gens du commun se contentaient de rêvasser devant les affiches collées un peu partout en ville. Particulièrement les jeunes filles, dont la plupart rêvaient plus que tout de devenir danseuses.

Par-dessus le marché, Téo avait été invitée par un jeune homme, et pas n'importe lequel. Lemon était connu pour être un parti des plus intéressants, et la mère de Téo avait paru aussi fière de ce rendez-vous que si ç'avait été le sien. Elle avait acheté une robe de lin bleu clair à sa fille pour l'occasion. Téo l'avait trouvée magnifique, quoi que ce ne fut pas le genre de pièces qu'elle affectionnait habituellement. Elle préférait les pantalons et les chemises de sport. Sa mère lui avait également prêté une de ses paires de chaussures qui étaient joliment assorties à sa tenue. Elle avait passé un temps déraisonnable à l'apprêter, la coiffer, la maquiller en lui parlant de sa propre jeunesse. La séance avait été un peu gênante mais, en se regardant dans la glace de sa chambre, Téo s'était trouvée belle. Plutôt jolie, tout au moins.

A côté des autres femmes, elle se trouvait maintenant affreuse.

Lemon finit par émerger de la foule, longs cheveux blonds lâchés, sourire ravageur, costume de laine supérieure. Il échangea des sourires avec un couple de jeunes gens avant de la voir, puis il se dirigea vers elle d'un pas enjoué, élargissant encore son sourire. Téo se sentit devenir rouge comme une tomate, et eut une douloureuse envie de prendre ses jambes à son cou. Il fut trop rapide, toutefois, et elle n'eut pas le temps de s'enfuir que son sourire fut déjà sur elle.

— Tu es venue.

— Tu pensais que je ne serais pas là ? demanda-t-elle.

— Je le craignais un peu, fit-il avec un sourire gêné.

Téo soupira et se détendit quelque peu.

— A raison. J'suis pas vraiment à ma place, ici.

— Comment ça ?

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant