Catalyseur

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Le lustre pendait mollement, ting-ting des cristaux ballottés par la brise nocturne. 

Lemon s'approcha pour fermer la grande fenêtre. L'autre garde somnolait sur une chaise à quelques pas de là. Déjà saoul, alors que l'heure de la fête n'avait pas encore sonné. Lemon avait du mal à lui en vouloir. Alors que tous leurs compagnons d'armes s'apprêtaient à célébrer l'entrée en lice des nouvelles recrues, eux deux avaient été mobilisés au palais de la Régente.

Le château ne se trouvait qu'à quelques centaines de foulées de là. Ils seraient assez près pour entendre le bruit des festivités, assez loin pour se sentir exclus. Lemon était là car il était le compagnon de Téo. Qu'avait donc pu faire l'autre malheureux pour se faire punir de la sorte ?

Lemon chassa machinalement une mèche de cheveux blonds derrière son oreille et s'approcha de lui. Le garde était un petit gars aux cheveux bouclés qui se laissait pousser la moustache. Il s'appelait Christo, peut-être. Peut-être pas. Lemon tendit la main vers l'uniforme du soldat endormi et refit le pli de sa veste pour mieux faire apparaître l'écusson de la garde. 

C'était fini pour lui. L'uniforme. La garde de port-Bleu. Ce foutu écusson. S'ils avaient renvoyé Téo, ils l'avaient perdu en même temps. Demain, il rendrait ses armes à la première heure du jour. Bien sûr, Téo n'aurait pas dû se rendre dans la chambre de la Régente sans autorisation mais, après tout, c'était bien un des servants qui le lui avait demandé. Et ils ne pouvaient pas la renvoyer pour cette seule raison ! Ils ne pouvaient pas se passer d'elle. Elle était si...Lemon ferma les yeux et prit une grande inspiration pour mettre de l'ordre dans ses idées. Il divaguait. Évidemment que la garde pouvait se passer de Téo. C'était lui qui ne le pouvait pas. Elle n'était pas la première fille qu'il eut connue, loin s'en fut. Ni la plus jolie, à dire vrai. Toutefois, elle occupait son esprit comme aucune autre ne l'avait fait jusqu'alors. C'était quelque chose dans sa manière de bouger, de réfléchir, de rire. De tout rendre un degré plus beau. Il ne savait pas vraiment.

Lemon ne savait pas quand il était tombé amoureux d'elle. Il ne se souvenait simplement plus de ne pas l'avoir aimée.

Il tâta la poche intérieure de sa veste, comme il l'avait déjà fait vingt fois depuis le début de sa garde. Il en sortit le petit papier, plié en quatre, que Téo lui avait donné plus tôt dans la journée, alors qu'il essayait de la retenir contre lui. Elle avait déposé un baiser sur la feuille et la lui avait confiée avec un sourire. Un sourire et un ordre. Ne pas ouvrir le mot avant que ne sonne le début de la fête.

Lemon se tourna vers les appartements de la Régente. Il regarda l'horloge, fixée au-dessus du chambranle de la porte. Plus qu'une heure.

XXX

Gilet ajusté sur la poitrine. Manches de la chemise retroussées. Chaussures cirées. Pâte dans les cheveux.

Jet était prêt.

Il considéra une nouvelle fois la veste de costume, posée sur sa chaise. Non, trop contraignant. Il aurait certainement besoin de faire des mouvements amples. La veste resterait ici. Il alla s'asseoir et regarda sa petite horloge. Encore une heure.

Le marteau était sur la table, impatient d'entrer en action. Son souffle calme, régulier. Tout était en place, tout l'attendait.

Ou presque. Le souvenir de sa femme toujours douloureusement inaccessible. Presque à sa portée, plus encore que d'ordinaire, mais pas tout à fait.

Jet espérait voir Téo pointer le bout de son nez à travers le noir de la nuit. Il le redoutait, aussi. Si elle ne venait pas, il irait faire son office et disparaîtrait pour ne jamais la revoir. Si elle venait, toutefois, il devrait abandonner sa vengeance.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant