Une collation

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L'horloge sonna la mi-journée tandis que Téo finissait un nouveau tour de garde. Elle entra une énième fois dans la grande salle de réception, foula son sol de marbre, jeta un œil vers le plafond sculpté et ses lustres scintillants.

D'autres gardes lambinaient par là. 

Hierra, Marcus, Lemon un peu plus loin. Le jeune homme trimballait sa belle carcasse de droite et de gauche, observant ici un vase, là une plante. Il chassait sa tignasse blonde derrière sa tête à intervalles réguliers. Le jeune homme finit par la voir et il lui adressa un sourire niais.

Téo ne lui avait pas fait part de son plan, bien entendu. Ç'aurait été trop dangereux, pour lui comme pour elle. Cela ne l'avait toutefois pas empêché de la suivre. Il voulait probablement passer un peu de temps avec elle. A dire vrai, Téo l'avait un peu délaissé depuis leur étreinte. Non pas qu'elle ait oublié la magie de ce moment, mais les circonstances récentes la préoccupaient de trop. Voyant son visage tant amène qu'anxieux, la jeune fille se promit cependant de ne pas le délaisser trop longtemps.

Ledit plan, quant à lui, s'était pour l'heure révélé moins périlleux que prévu. Téo avait décidé d'approcher la Régente. Cette dernière, figure suprême de Port-Bleu, était connue pour ne quitter son palais que lorsque l'exercice de son pouvoir l'exigeait. Ces dernières années, ces sorties en public s'étaient faites de plus en plus rare. La maîtresse de la cité vivait recluse dans son antre, et laissait la prise de parole publique à ses subordonnés. Téo avait donc fomenté la nuit dernière moults stratagèmes qui lui auraient permis de pénétrer dans le palais. Aucun d'entre eux ne lui paraissait particulièrement crédibles, et elle avait donc entamé la première de ses deux journées de mission avec une oppressante boule au creux de son ventre.

L'univers devait toutefois suivre une logique retorse car, arrivée à la caserne, elle avait découvert que Jet lui avait lui-même pavé la voie. En effet, le massacre qu'il avait opéré dans le bordel avait tant chamboulé les notables de la ville que tous réclamaient un renforcement de leur garde personnelle, moyennant monnaie sonnante et trébuchante. La Régente la première. Une vaste campagne de mobilisation des soldats avait donc été mise en place. Téo avait sauté sur l'occasion et s'était portée volontaire pour assurer la protection du palais, immédiatement imitée par Lemon.

Une dizaine d'entre eux étaient partis au pas de course, et ils se retrouvaient donc ici, à faire des rondes inutiles à travers les couloirs, les salons, les cuisines et les recoins sombres dans lesquels les serviteurs voilaient quelques objets ou s'embrassaient à pleine bouche.

Téo n'avait pas encore réussi à atteindre son but, toutefois. Aucun des gardes n'avait été invité à se rendre auprès de la Régente. Elle ne se trouvait certes qu'à une pièce de là, mais la large porte de bois massif était tenue par deux soldats privés, et seuls des serviteurs aux bras lourds de nourriture étaient autorisés à entrer. La jeune garde grimaça. Elle devait trouver un moyen de rencontrer la Régente. Lui parler. Alors, elle évoquerait la troupe Aparicio et les nouvelles danseuses. Sans la questionner trop directement, pour ne pas éveiller ses soupçons. Si elle était derrière tout cela, quelque chose la trahirait, Téo en était convaincue. Elle voulait en être sûre. Avant... avant de la livrer à Jet.

Un frisson parcourut son échine. La perspective d'organiser un assassinat la glaçait, mais elle s'efforça de chasser cette idée de son esprit. La traite de ces jeunes filles, la brutalité faite à l'égard de ces petites choses innocentes, tout cela allait au-delà de sa conception de la justice. Et des sentiments étranges qu'elle éprouvait pour Jet. Les gens qui faisaient cela devaient payer. Seulement, elle voulait s'assurer d'à qui envoyer la note.

La porte menant à la chambre de la souveraine s'ouvrit soudain, laissant sortir en trombe un jeune serviteur aux cheveux en bataille et au souffle court.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant