L'épreuve

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Quel est le nombre maximum de bouteilles d'alcool qu'un particulier peut se faire livrer par voie maritime ?

Téo fixait la question depuis un moment. Il y en avait trente de ce type sur sa copie. La première partie de son examen. Elle connaissait la réponse, pour cette question comme pour les autres, mais elle avait du mal à se concentrer. Elle repensait à la soirée de la veille.

Quelque chose la tracassait, et il ne s'agissait pas uniquement du souvenir de la main de Lemon sur la sienne. Elle avait le sentiment d'être en train de passer à côté de quelque chose. Oh, pas pour ce test, qui était relativement facile. Quelque chose qu'elle aurait dû comprendre.

Téo soupira, essayant de se vider l'esprit, et jeta un bref coup d'œil autour d'elle. La salle d'examen était remplie de postulants à la mine grave, visiblement en difficulté. Lemon faisait grise mine et tentait d'ignorer Marcus, qui cherchait à attirer son attention. Probablement dans l'intention de tricher. Le géant, quant à lui, affichait un visage penaud qui ne lui seyait guère. Celui-là ne s'en sortirait probablement pas très bien.

Il n'avait pas de souci à se faire, toutefois. L'épreuve écrite ne représentait qu'un quart de la note finale. En complément, la course à pied et l'attitude générale étaient évaluées. Ainsi, comme l'estomac de Téo le lui rappela, que la lutte.

La jeune fille se reconcentra sur sa copie. Cette épreuve était pour elle. Elle serait moyenne en course, et sa note en combat dépendait grandement de l'adversaire qui lui serait opposé. Elle ne pouvait pas laisser son admission être décidée en vertu de sa seule attitude. Elle ne voulait pas être admise par défaut. Téo reprit donc son crayon et se força à remplir le questionnaire.— Dix. Dix bouteilles, chuchota-t-elle tandis qu'elle griffonna sur sa feuille.

Elle répondit aux questions suivantes sans se laisser divertir par ses pensées. La plupart d'entre elles appelaient des réponses assez évidentes, mais elle buta quelque peu sur l'avant-dernière, dont la formulation ne lui paraissait pas claire. La postulante se décida finalement à donner la réponse la plus simple. Il n'était sans doute pas nécessaire de chercher de double-sens ou de piège dans cet examen. Tout n'avait pas nécessairement un sens caché.

Elle finit son test et envisagea de se relire, mais se ravisa assez vite, trop fainéante pour tout vérifier. Et, en réalité, trop sûre d'elle pour douter de sa réussite. Téo posa donc sa tête sur ses avant-bras et s'autorisa à rêvasser en attendant que les autres postulants finissent leur examen.

Cela dura quelque peu, et son esprit vagabonda de nouveau vers l'opéra. Elle se sentait mal à l'aise. Pas vis-à-vis de Lemon. Téo avait admis qu'elle ne savait pas quoi penser de sa relation avec lui. En sa présence, elle avait du mal à se comporter normalement. A appliquer la distance qu'elle aurait voulu laisser entre eux. Mais cela ne la dérangeait pas. Leur rendez-vous, elle devait l'admettre, avait été particulièrement agréable. Elle était impatiente qu'il l'emmène faire la tournée des bordels, aussi étrange cette pensée ait-elle pu être.

Il restait, toutefois, qu'une sorte de voile désagréable accompagnait ce souvenir. Quelque chose n'allait pas, et elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Le surveillant annonça la fin de l'épreuve. Les protestations des candidats malheureux tirèrent Téo de sa rêverie. Elle fut la première à se saisir de sa feuille et à la déposer sur le bureau prévu à cet effet, puis à sortir.

Dehors, la caserne était calme. Ça ne durerait pas. Bientôt, les postulants sortiraient et, groupés par affinité, ils iraient préparer la prochaine épreuve. Le combat.

Elle se déroulerait dans le gymnase, à quelques dizaines de pas de là. Et ce serait une toute autre ambiance, les avait prévenus le sergent Arkio. L'épreuve de lutte était une institution parmi le corps des gardes. La tradition voulait que l'ensemble des hommes d'armes de la ville, sauf ceux dont la présence dans la cité était indispensable, assistent aux affrontements. Le gymnase serait donc plein. Une fois cela fait, les titulaires iraient se saouler dans quelque endroit de débauche pendant que les candidats passeraient leur examen de course. Ils ne sauraient qu'ensuite s'ils étaient reçus.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant