Deux pas de large, vingt pas de long.
Un pont entre deux rives. D'un côté, les soldats enragés. De l'autre, la fuite de Téo. Au centre, Jet et Monsieur le chien.
La situation était simple. Reposante. Jet ne s'en sortirait pas. Il ne quitterait ce pont que pour rejoindre une fosse. Il n'avait plus rien ni personne à venger, plus aucune haine à évacuer. Il ne lui restait plus qu'une mission.
Ce pont était son territoire, et il comptait bien le défendre.
Chaque souffle qu'il gagnerait, chaque instant qu'il passerait à se battre seraient autant de pas d'avance pour Téo et le blondinet. C'était donc ce qu'il allait faire.
Les soldats se gênaient pour grimper sur le pont, mais bientôt l'un d'entre eux mettrait de l'ordre dans tout ça et le défilé commencerait. Jet les jaugea calmement du regard et fit tourner le marteau dans sa main.
— Tu savais hein ? A propos de Téo.
— Je savais, répondit gravement l'animal.
Ce dernier fit quelques pic-pic pour se placer derrière lui. Jet plaça une main au-dessus de ses yeux pour se protéger de la lumière de la lune, dont l'étrange lueur bleutée devenait de plus en plus intense.
— Pourquoi tu ne m'as rien dit, marmonna Jet. Pourquoi tu m'as laissé croire ?
— Pas le choix. Pas plus que toi. Regarde devant.
Le chien avait raison. Un premier soldat avait réussi à monter sur le pont en jouant des coudes. Il était armé d'une épée, et cria quelque chose d'inintelligible à l'attention de Jet. Qu'il voulait le tuer, probablement.
Jet inspira, puis souffla calmement. Le soldat approchait à pas mesurés. Il avait dû voir le résultat du carnage dans l'entrepôt. Jet ne s'était pas contrôlé alors. Il avait pensé à sa femme. A cette bribe de souvenir qu'il pensait détenir. A la manière dont il l'avait perdue, et à la souffrance qu'il voulait éviter à Téo. Jet pouvait encore revivre son souvenir, mais il ne ressentait plus ni haine ni douleur. Plus rien. Tout cela n'avait plus aucun sens, n'en avait jamais eu. La seule chose qu'il pouvait faire à présent consistait à se battre de son mieux.
Il attendit que le soldat soit à quelques pas de lui. Un second avait suivi, et les deux hommes avançaient l'un derrière l'autre. Pas à pas. Tels des chasseurs à l'approche d'une bête sauvage.
La vision de Jet se resserra, comme s'il regardait les gardes à travers un tube. Ses oreilles se firent sourdes au vacarme extérieur. Il ne sentit bientôt plus que son souffle et les battements de son cœur.
Le premier coup vint. Le soldat se fendit en avant et donna un puissant coup d'estoc. Jet le vit venir à des lieues, il aurait pu l'éviter les yeux fermés. Il fit un léger bond en arrière, juste ce qu'il fallait, et la lame s'arrêta à un souffle de lui. D'un geste fluide, il leva son marteau puis lança un coup circulaire qui heurta le soldat en plein visage, faisant voler son casque. Il avait visé juste, et suffisamment fort. L'homme trébucha en arrière tandis que sa mâchoire se décrochait, et tomba à la renverse en entraînant le garde à sa suite. Jet se porta rapidement sur eux et distribua deux coups de marteau pour leur fracturer le crâne. Il recula ensuite, abandonnant les deux corps au milieu du pont, et toisa le reste des gardes du regard. L'escouade de soldats était toujours agglutinée devant la passerelle, regards mi-horrifiés, mi-hébétés. Jet haussa les épaules et se mit à sautiller. Il n'entendait toujours rien, mais la voix du chien résonna dans sa tête.
— Je dois admettre, triche ou pas, tu frappes pas mal.
Jet était plutôt fier de son coup. Maintenant, les gardes devraient commencer par déblayer les corps pour pouvoir avancer sur le pont. Un peu d'avance en plus pour Téo. Il espérait qu'elle pourrait guider le blondinet à travers la fausse-ville.