Le jour suivant, Téo fila au parc dès que sa journée de postulante fut finie. Elle laissa derrière elle les exercices, les cours théoriques, les regards moqueurs et les rumeurs insistantes.Ainsi que Lemon. Il avait tenté de l'approcher à plusieurs reprises ce jour, mais Téo l'avait ignoré. Qu'il aille se faire voir avec ses grands airs, son aide et ses mèches blondes !
Elle s'assit dans l'herbe et attendit avec appréhension, craignant quelque peu que Jet ne vienne pas. Après tout, pourquoi s'encombrerait-il d'une petite chose comme elle ? Il avait couru avec elle, la veille, et lui avait montré comment donner des coups de poing dans les règles de l'art. C'était déjà pas mal. Elle ne pouvait pas lui demander de passer ses soirées avec elle.
Pourtant, c'était lui qui lui avait donné rendez-vous ce soir. Il n'oserait pas lui faire un coup de ce genre, tout de même ? Et puis, elle n'allait pas se faire balader par un homme nommé Jet ! Jet ! C'était à peine un prénom. Téo savait que les enfants des rues, les orphelins, avaient pour coutume de prendre des noms d'emprunt, mais celui-ci était particulièrement crétin. Pas question qu'un "Jet" la prenne pour un canasson.
Elle patienta quelques temps.
A dire vrai, Téo n'avait pas envie de rentrer chez elle. En la voyant arriver avec ses blessures, la veille, sa mère lui avait fait toute une histoire pour la décourager de retourner au château. Elle avait voulu convaincre son père d'aller donner une correction à l'ordure qui avait osé toucher sa fille.
Téo avait filé se coucher pour ne pas avoir à affronter telle conversation. Elle ne voulait pas entendre une nouvelle fois que sa place était ici ou là, à porter telle robe ou à cuisiner tel plat.
Une masse vint se poser contre elle et elle sursauta. Monsieur le chien. Voilà encore un nom intelligent. La bête la regardait d'un air stupidement béat, et elle ne put résister. Téo lui caressât la tête en lui souriant. Jet arrivait en trottinant. Il portait un sac de toile bien plein et le jeta négligemment de côté en approchant. Téo se leva et le salua en souriant. L'homme esquissa une grimace gênée.
— Désolé. Pour le retard. Je cherchais le matériel, fit-il en désignant le sac.
— T'as dû passer la moitié de la journée à te coiffer, aussi, le taquina-t-elle. C'est pour moi qu'tu fais ça ?
A dire vrai, il n'était pas dénué de charme. Droit, strict, précis. Il rougit et bredouilla, mal à l'aise.
— Non, c'est... mes cheveux. Je me coiffe quand je sors, c'est tout.
Téo envisagea de continuer à le maltraiter, mais elle savait fort bien qu'elle rigolerait moins au bout de quelques tours de course, et préféra ne pas aggraver son cas.
— Y'a quoi dans le sac ? demanda-t-elle.
Jet reprit contenance et haussa les sourcils d'un air satisfait. Il attrapa ensuite le paquet et en renversa le contenu au sol. Deux paires de gant de combat, deux casques d'entraînement ouverts, deux jeux de protège-tibias. Tout cela en cuir. La jeune fille écarquilla les yeux et ouvrit la bouche. Elle devait avoir l'air d'un poney attardé, se dit-elle.
— Jet, finit-elle par dire, c'est du bon matériel ça. C'est... eh bien, c'est beaucoup mieux que ce qu'on a à la caserne.— Normal. J'en ai pas cent à acheter. Et puis vous êtes nuls, vous les soldats. Pas besoin de vous entraîner avec du cuir.— Très drôle, gros malin. Tu... pardon si c'est indiscret, mais tu fais quoi comme métier ?
Jet évacua la question d'un signe de tête et partit au trot. Téo le suivit sans insister. Ce n'étaient pas ses affaires. Ils coururent doucement lors du premier tour de parc, puis accélérèrent progressivement durant les quatre tours suivants. Téo tâcha de ne pas se laisser distancer. Elle fixa son professeur. Avoir un point d'attache aidait. Elle se concentra donc sur cette chevelure étonnamment parfaite, ne bougeant pas d'un pouce malgré leur course. Etrange.