L'incendie

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Renvoyée.

Téo allait se faire renvoyer.

Elle accéléra à travers les rues pavées, évitant les habitants de Port-Bleu qui entamaient leur labeur aux premières lueurs du jour.

Le coursier était venu la chercher chez elle. Il avait tambouriné à la porte jusqu'à réveiller ses parents, qui étaient venus la tirer de son lit. Une affaire urgente. Téo devait rejoindre le sergent Arkio toutes affaires cessantes. Le rejoindre au "Rendez-vous d'affaires". Le bordel de la nuit précédente.

Téo continua à courir. L'adrénaline l'empêchait de fondre en larmes. Elle savait ce qui l'attendait là-bas. L'homme de main avait mentionné Arkio alors qu'il s'en prenait à eux. Il avait dû contacter le sergent et l'informer de l'agression dont il avait été victime. Oh, bien sûr, il l'avait cherché, mais comment se défendraient-ils ? Comment expliqueraient-ils leur présence dans ce lieu de plaisir, sans qu'Arkio ne leur ait donné l'autorisation d'enquêter ?

Téo entendait déjà le sergent les sermonner. Lemon s'en tirerait certainement. Sa famille était bien trop riche pour qu'il soit renvoyé. Mais elle ? Elle n'était pas seulement nouvelle, elle était une fille. Son sexe était en soi un affront fait aux gardes qui n'avaient pas réussi le concours. Elle savait ce que l'on disait d'elle, derrière son dos. Et elle n'avait pas exactement fait en sorte de se faire apprécier par le sergent. Ce qui l'attendait ne faisait aucun doute.

Elle prit à droite à la dernière intersection la menant au bordel et se figea. Bien sur, Téo avait vu les mèches de fumée noire qui s'élevaient au-dessus des bâtiments du vieux centre, mais elle ne leur avait pas prêté attention outre mesure . Son anxiété l'avait empêché de voir l'évidence. Elle ne comprit pourquoi elle avait été appelée que lorsqu'elle fut à quelques pas de l'établissement.

Le bordel brûlait. L'essentiel des flammes avait été maîtrisé, mais des éclairs de feu transperçaient ici et là les volutes de fumée qui sortaient des fenêtres. La devanture de l'établissement était noire et craquelée. Au-dehors, des dizaines de personnes avaient envahi la rue. Une grosse poignée de gardes, des hommes en costume et des filles à moitié dévêtues, enveloppées dans des couvertures. Téo vit Marcus et Lemon, occupés à parler avec un homme moustachu au regard hébété

.La confusion régnait parmi l'assemblée. Les gens erraient devant le bordel, tournant en rond sans trop s'éloigner. Une femme gémissait doucement, assise devant un porche. Une paire d'hommes échangeaient des mots vifs en gesticulant. Arkio émergea de la foule, mine grave, et vint vers elle.

— Téo, tu es venue, fit-il en fourrant sa chemise dans son pantalon.

— Vous m'avez appelée, balbutia-t-elle, s'attendant toujours à ce qu'il lui ait tendu un piège.

— Comme des dizaines d'autres ! s'emporta-t-il en levant les mains au ciel. Mais un garde sur dix a daigné quitter son lit, tout au plus. Ils doivent encore cuver leur vin, ces salopards...

Il semblait sincèrement soulagé de la voir. Téo se détendit quelque peu. Avant qu'elle n'ait pu lui proposer ses services, il se mit à ses côtés et lui parla à voix basse.

— J'ai besoin que tu t'occupes d'eux, fit-il en désignant discrètement les occupants du bordel d'une main.

Téo acquiesça.

— Je les renvoie chez eux ? demanda-t-elle.

— Non. Enfin, si. Mais commence par les interroger.

— A propos de l'incendie ? s'enquit Téo, intriguée par la mine sinistre d'Arkio.

Ce dernier fit une grimace puis hocha la tête, semblant se souvenir que la jeune garde venait à peine d'arriver. 

 — A propos de celui qui l'a allumé. Et de ce qui s'est passé avant.

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