En voiture !

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On va être en retard, marmonna Monsieur le chien.

Jet continua à courir, le chien sous le bras. La lumière du jour avait presque entièrement disparu. Difficile de se repérer. Il n'aurait pas dû couper à travers bois. Mais Monsieur le chien avait un bon sens de l'orientation. Normal pour un animal, peut-être. Jet n'en savait rien. Il se laissait guider.

J'en reviens pas ! reprit l'animal. Toi en retard ! Et encore heureux que je t'aie rappelé à l'ordre, sinon tu restais avec la p'tite. Je sais qu'elle est mignonne, avec ses nattes blondes et ses p'tits... ATTENTION !

Le chien se tut tandis que Jet sautait par-dessus une branche tombée à terre, mais il reprit aussitôt après.

Et, ton rendez-vous galant mis à part, tu ne nous facilites pas les choses. Franchement, c'était bien nécessaire de rentrer à la maison ?

— Besoin du marteau, souffla Jet sans relâcher son effort.

Besoin du marteau ? Pourquoi pas d'une épée ? J'te rappelle qu'on est là pour mettre une raclée à des pécores.

Jet poursuivit sa course, silencieux. Monsieur le chien finit par se calmer. 

 — Après tout, c'est toi qui vois. Si t'as besoin du marteau pour te rassurer, je peux comprendre. D'accord, ça fait un peu chochotte, mais... AH, POSE-MOI !

Jet s'arrêta brusquement et s'exécuta. Il reprit son souffle quelques instants.

— On y est ? demanda-t-il.

Je crois que c'est juste après cette butte, fit le chien. Reste ici, je vais voir.

Jet hocha la tête et son compagnon gravit le monticule recouvert d'herbe, avant de se figer, tendu.

— On n'est pas au bon endroit ? demanda Jet.

Si.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Silence. Un peu trop long. Ce n'était pas bon. Monsieur le chien était rarement silencieux, et ce n'était jamais de bon augure.

On est un peu en retard, fit l'animal.

Jet monta sur la butte. En contrebas, la maison qu'ils avaient surveillée deux nuits auparavant. Et, sur la route, la calèche était déjà là. Ce n'était pas le plan. Ils avaient été trop lents.

— Ch'val ! D'habitude, ils attendent le milieu de la nuit, fit Jet en essuyant la sueur de son front.

Si t'avais pas passé la soirée à faire le beau, ça serait pas un problème.

— J'apprenais à Téo à se battre. Et puis c'est pas le sujet. On intercepte la calèche avant qu'elle n'arrive à la ferme ?

Non, je crois pas que ça soit possible, lui répondit le chien.

Jet regarda à nouveau le véhicule. Il serpentait sur la route, quelques mètres au-dessous d'eux. Mais pas dans le bon sens. La calèche rentrait en ville.

— La fille est dedans... murmura Jet.

On rentre, fit le chien en se retournant.

— Non.

On rentre, Jet. La fille est déjà à l'intérieur. Elle va nous voir si tu...

— Pas question, le coupa Jet.

Il commença à dévaler la pente, laissant derrière lui Monsieur le chien et son flot d'insultes. Il ne pouvait penser qu'à la fille. Elle était montée dans la calèche. Heureuse, sans doute, pleine de rêves. En direction de la troupe Aparicio. Pas question de la laisser là-dedans. Bruits de pattes dans son dos. Le chien avait suivi. En face, des cailloux, un nouveau surplomb rocheux. Au-dessous, des bruits de roues en approche. Ils seraient là dans quelques instants. Jet évalua ses options. Route trois mètres plus bas. Pente trop abrupte pour la descendre en marchant.

Réfléchir. Vite.

Stop ! cria Monsieur le chien. Bordel, tu me fais quoi ?

Jet hésita.

— Je sais pas... je sais pas si je saute maintenant ou si je les attends pour leur sauter dessus au passage.

Tu.... purée, Jet, quand je te dis que t'es une lopette, c'est pour déconner, tu sais ?

— D'accord, je les attends, le coupa l'homme.

Quoi ? Mais tu écoutes ce que j'te dis ?

Jet haussa les épaules et se tourna vers le vide. 

La calèche passa bientôt. Un petit modèle, tiré par un seul cheval. Deux hommes sur le banc du conducteur. Une épée visible. De la lumière à l'intérieur de la cabine. Il attendit que cette dernière se trouve juste en dessous de lui, prit une longue inspiration et se laissa tomber. 

La chute fut plus longue qu'il ne l'avait prévue. Jusqu'au dernier moment, il aurait parié qu'il allait tomber derrière le véhicule et se casser une jambe, mais ce ne fut pas le cas. Il heurta le toit de la cabine dans un grand "Bom". 

Le cheval dut sentir quelque chose, car il accéléra et commença à faire une embardée. Un des deux conducteurs s'aperçut aussi de sa présence. Il se leva et eut l'air surpris lorsqu'un marteau heurta sa tête et l'envoya rouler à terre. L'autre poussa un cri aigu et tenta de se saisir de l'épée. Ils accélérèrent. Le cheval glissa. L'épée aussi, lorsque la calèche bascula sur le côté. Jet fut propulsé vers les arbres. Il en heurta un de plein fouet. Chute sur le sol plein de racines et d'épines. Écorchures. Cris au loin.

Noir. Combien de temps ? Un souffle ? Une nuit ? 

 — Debout.

C'était le chien. Il n'était pas content. Jet se releva lourdement et porta une main un peu partout sur son corps. Tout faisait mal, mais tout avait l'air de fonctionner normalement. Pas de sang. Ses oreilles bourdonnaient.

La lune émettait plus vive, et bizarrement plus bleue encore qu'à l'accoutumée. Jet se guida à l'aide de son scintillement jusqu'à émerger de la forêt noire. La calèche était couchée sur le côté. Un des hommes, celui qu'il avait frappé, gisait à quelques pas de là. Il rampait doucement. L'autre était debout, sur sa droite. Il tenait l'épée d'une main, tremblant et haletant. Son autre bras était cassé et il pendouillait mollement. Le voyant, le cocher tendit son arme vers lui. Il lui cria quelque chose que Jet n'entendit pas distinctement. Foutu bourdonnement. Jet se rendit alors compte qu'il n'avait plus son marteau. Il devrait faire sans. 

Il commença par s'approcher de la calèche et regarda à l'intérieur. La petite rousse était là, pelotonnée contre une paroi. Terrifiée, mais vivante. Elle croisa son regard et Jet retira immédiatement sa tête. Il vérifia ensuite la position de l'homme armé. Il ne s'était pas approché, mais continuait à le menacer, lame en avant et dents sorties. Jet lui fit signe de patienter un instant. Il commença par s'approcher de l'homme à terre et le toisa de toute sa hauteur.

Il leva une jambe, puis abattit son pied sur sa tête. Les bourdonnements couvrirent le bruit. Un coup suffit.

Jet se tourna ensuite vers le dernier homme debout, qui semblait horrifié. Jet s'approcha calmement, regard pointé sur l'épaule de son adversaire. C'est de là que le coup partirait. L'homme lui parlait sûrement, par-delà le bourdonnement. Ils parlaient, en général. Du temps passa. Jet resta planté là, bras ballants, regard rivé sur l'épaule de son opposant, visage fermé. Il attendit. Puis le coup partit.

L'épaule bougea, le bras commença à se tendre. Jet fit un pas de côté. Un simple pas, puis il se mit de profil. La lame passa devant lui. C'était le moment. Il fondit sur le cocher et lui attrapa la glotte. Pas trop fort, pas de quoi le tuer. Juste de quoi le faire tomber et lui faire lâcher son arme. Une fois au sol, Jet lui monta dessus puis lui libéra la gorge.

L'homme était terrifié. Il pleurait, il reniflait et disait des choses que Jet n'entendait pas. Il avait compris qu'il allait mourir. Que tout était fini. Jet prit la parole, sûrement un peu trop fort.

— BON, MAINTENANT TU VAS ME DIRE OU TU ALLAIS LIVRER TON PAQUET. ET VA FALLOIR PARLER FORT, J'ENTENDS QUE DALLE.

LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant