Chapitre 71

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— Kems !

— Mais comment est-ce que vous faites ? peste Nadège en abattant ses cartes sur la nappe de pique-nique.

Je me frotte les mains, et récupère les cartes de tout le monde pour les battre. Valerio et moi avons gagné la première partie, et nous ne sommes pas loin de remporter aussi la deuxième face à nos mères.

— C'est parce qu'on est la meilleure équipe, se vante mon co-équipier en jetant une tomate cerise dans sa bouche.

Je lève la main vers lui et il tape dedans. Finalement ce n'est pas une si mauvaise idée de passer cette journée avec nos parents. C'est presque un jeu, depuis ce matin, de se lancer des regards ou des sous-entendus qui leur échappent complètement. On a passé le déjeuner à piocher dans le Tupperware de l'autre, et j'ai un certain sentiment de plénitude qui m'anime à l'idée de nous savoir si en phase et complices. Même pour un simple jeu de cartes en équipe.

— Alors, est-ce qu'on aura du poisson à manger ce soir ? demande maman à Francis et papa, postés sur les chaises pliantes au bord de la rivière.

— Peut-être... Si la poissonnerie est ouverte ce soir.

Ils rient, et je suppose que ce sera des chipolatas au barbecue finalement, car il n'y a plus rien d'ouvert le dimanche après-midi par ici. Depuis ce matin, ça n'a pas beaucoup mordu. Ils ont attrapé quelques perches, mais pas de quoi se régaler.

— Vous nous remplacez un peu, les gamins ?

Valerio se laisse tragiquement tomber en arrière, la tête dans l'herbe.

— Je déteste ça, papa.

— Oh, allez, c'est comme rester couché sur la plage toute la journée, mais en étant assis. Le niveau de productivité est le même.

— C'est pas pareil. J'ai pas envie de planter un crochet dans la bouche d'un poisson.

— Que ce soit toi ou moi c'est la même chose, tu en mangeras quand même ce soir, il me semble. Allez, hop !

— Viens, dis-je à Valerio en lui tendant la main pour qu'il se relève avec moi. De toute façon y a zéro chance qu'on attrape un poisson, ils en ont eu trois depuis ce matin.

Il se redresse sur ses coudes, et accepte ma main tendue. Une fois debout, je sens qu'il hésite à la garder plus longtemps, mais il me relâche et je souris en tournant le dos pour rejoindre mon père et Francis.

Ils nous confient leurs fauteuils et cannes, et on se laisse tomber dedans tandis qu'ils vont s'installer sur l'herbe pour boire une bière. La place est chaude, et on est à l'ombre, c'est parfait. C'est une rivière peu profonde, ici, et l'eau est si claire qu'on distingue la forme de chaque galet, l'ondulation des algues sous la surface, l'absence de poissons...

Quand j'étais petit, avant que Valerio et ses parents ne viennent « s'installer » au mobil home d'en face et que mon père ne trouve en Francis un compagnon de pêche, on venait souvent ici, je me souviens que je jouais dans la rivière avec ma bouée. Je me laissais porter par le courant sur quelques mètres, puis je remontais le cours d'eau pour recommencer encore et encore.

Bon, en fait je ne m'en rappelle pas vraiment, heureusement que ma mère a filmé ça pour me permettre d'en garder le souvenir. Mes parents avaient un super caméscope, jusqu'à il y a quelques années. On a immortalisé tellement de choses, ça fait longtemps qu'on n'a pas regardé les cassettes mais je suis sûr qu'il y en a plein sur lesquelles apparaît Valerio.

J'ai une soudaine envie de remettre la main dessus pour revoir notre évolution au fil des années. Nos parents diraient sûrement en plaisantant que celle-ci est inexistante et que nous n'avons pas vraiment évolué, surtout avec le sermon d'hier sur le fait d'être insouciants voire même inconscients. Je pense qu'on a fait bien pire que partir sans nos téléphones.

W [EN PAUSE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant