Chapitre 44 Eli

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Le jour où ma mère est partie a été le jour le plus douloureux de ma vie. Le jour où j'ai cru avoir tué mon propre enfant a été le jour qui m'a donné envie de me foutre en l'air pour de bon. Mais j'ai tenu, parce que je suis tombé amoureux d'une femme vraiment cool. Une femme qui a fait battre mon cœur et qui m'a donné envie de me battre pour les bonnes raisons. Une femme qui m'a fait comprendre qu'on pouvait aimer autrement. Qu'on pouvait aimer à s'en brûler, à en crever, à en oublier tout le reste.

Et je l'ai perdue. En une seconde, une voiture percute la moto de Lara. Je freine, et tout semble s'arrêter pendant un instant. Comme si tout était au ralenti. Je ne réalise vraiment les choses que lorsque je vois Lara au sol, car elle est violemment éjectée de sa moto et vient s'écraser quelques mètres plus loin dans un bruit sourd qui me fait hurler de l'intérieur. Je jette mon casque et me rue vers elle, mes jambes menaçant de se dérober sous moi. Le monde autour de moi s'écroule. Je n'ai pas de mot pour décrire ce que je ressens tellement c'est violent. Elle est inanimée et il y a du sang. Beaucoup de sang... Pas ça...

— Non, non non non, putain non...

Je tombe à genoux à côté d'elle et attrape sa main, cherchant désespérément un signe de vie.

— Lara... Mon amour... Tu m'entends ?

Rien. Mes doigts tremblants se posent sur sa gorge. Son cœur bat encore. Je dois agir vite. Le mec de la voiture a réussi à sortir de son véhicule et il court vers nous.

— Elle n'a...

— APPELEZ LES URGENCES, BOUGEZ-VOUS BORDEL!

—O... Oui !

— Lara mon amour... Je t'en supplie...

Ma vision se brouille. Le choc a été si violent que son casque s'est retiré. Merde. J'essaie de repérer l'origine de l'hémorragie. Son arcade est en sang. C'est là que je vois l'état de son ventre. Horrifié, je suis figé devant la plaie béante.

— Merde....

Je comprends immédiatement que si elle n'est pas prise en charge dans les prochaines minutes, elle ne s'en sortira pas. La terreur s'égale à moi. Pris d'une torpeur violente, je hurle au mec de se bouger pour les urgences quand j'entends déjà le bruit des sirènes. Lara se met à convulser et du sang sort de sa bouche.

Je commence à trembler, mais quelque chose se déconnecte en moi. Je me retrouve dans un état second. Je sens alors qu'on me déplace, qu'on essaie de me parler, mais tout me parait loin, je ne vois que Lara et tout ce sang...

— Monsieur, on va vous transporter avec elle. Êtes-vous blessé ?

— Je suis en train de la perdre ?

Je murmure pour moi même. Je me prends la nuque, terrorisé. C'est pas possible. Elle ne peut pas me laisser. Elle a dit qu'elle ne me quitterait jamais...

— Monsieur, êtes-vous...

Je saisis le col de l'ambulancier et approche son visage près du mien.

— Est-ce que j'ai l'air blessé connard ? Sauvez-la ELLE, putain !

L'homme se détache de mon entreprise, effrayé, et rajuste son col avant de donner des ordres.

— On charge !

Ils placent Lara sur un brancard et l'embarquent dans l'ambulance. Je monte avec elle, incapable de la lâcher du regard.

— Je t'interdis de me laisser Lara...

J'essaie de lui parler, de la retenir ici, avec moi. Mais ses paupières restent fermées. Ses lèvres, d'habitude pleines de vie, sont exsangues. On fonce à l'hôpital et elle est immédiatement transférée en chirurgie. Il n'y a plus qu'à attendre. Sa vie est entre les mains d'un putain de médecin.

*

Je me réveille en sursaut et me retrouve avec surprise dans mon lit. Mon corps est tendu, prêt à bondir. Mais je ne suis pas à l'hôpital. Je suis dans mon lit. Et Lara est la, allongée et profondément endormie à mes cotés, ses cheveux en bataille sur l'oreiller, la respiration paisible. C'était un cauchemar. Putain, Je ris nerveusement, soulagé comme jamais. Lara s'étire paresseusement et ouvre les yeux.

— Tu sais que certaines personnes dans ce lit aimeraient ne pas se réveiller à cinq heures du matin parce qu'un type ridiculement beau éclate de rire. Tu vois ?

Sa voix est rauque, encore ensommeillée.

— Je vois tout à fait.

Je lui saute dessus et la serre fort dans mes bras, soulagé que tout ce merdier ne soit pas réel.

— C'est pas grave.

Je fronce les sourcils. Quoi ?

— Quoi ?

Elle me regarde avec un sourire triste.

— C'est pas grave si je ne suis plus là.

Et avant que je ne puisse réagir, elle s'efface. Comme de la poussière balayée par le vent. Je me réveille en sueur, cette fois pour de vrai, et regarde autour de moi. Je suis à l'hôpital. Ma respiration est saccadée et je tourne la tête. Lara dort. Elle ne s'est pas évaporée cette fois. Mais elle ne se réveille pas. Ma main n'a pas lâché la sienne depuis trois jours. Elle est plongée dans un coma artificiel. Elle devrait en sortir d'ici peu "normalement"...

— Bonjour, mon garçon.

Je lève mes yeux cernés de fatigue et vois entrer le père de Lara.

— Bonjour, monsieur.

Il s'approche du lit et embrasse le front de sa fille.

— Quand elle était petite, elle adorait le guacamole. Aujourd'hui, elle déteste ça.

Je le fixe, surprise par ce début d'histoire incongru.

— J'étais persuadé qu'elle en raffolait, alors avec sa mère, sur lui en achetait tous les ans pour Noël. Un jour, elle a explosé et nous a avoué qu'elle en mangeait juste pour nous faire plaisir.

Il sourit tristement.

— Quand elle était toute petite, elle aimait le guacamole. Aujourd'hui, elle déteste ça. J'étais persuadé qu'elle raffolait de cette chose donc pour Noël chaque année avec sa mère, on lui achetait des pots. Un soir, elle avait 14 ans, elle s'est emportée et nous a dit que si elle en mangeait, c'était pour nous faire plaisir. Parce que ça semblait nous faire plaisir qu'elle raffole de ça. C'était déjà une petite fille indépendante et très intelligente qui n'avait pas peur de dire ce qu'elle pensait. Le jour où sa mère a fait sa première tentative, les rôles se sont inversés. Elle voulait tellement s'occuper de sa mère... elle en a oublié qui elle était et ce qu'elle attendait de sa vie.

Il inspire profondément et me regarde droit dans les yeux.

— Je ne veux pas refaire cette erreur.

Sa voix est ferme.

— Il faut qu'elle pense à elle. Je ne laisserai pas la maladie de ma femme gâcher la vie de ma fille.

Je regarde Lara. Elle va s'en sortir. Elle n'a pas le choix.

BOXING HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant