Chapitre 1

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Sanglé contre la carlingue d'un Hercule C130, j'essaye de dormir, les bras croisés contre moi, disons plutôt que je garde les yeux fermés, n'ayant rien d'autre à faire. Je suis le seul passager de ce vol de retour organisé par mon supérieur, en profitant que du matériel soit rapatrié depuis l'Afghanistan. Nous nous retirons petit à petit de ce pays où nous n'aurions jamais dû aller. Combien s'y sont cassé les dents avant nous ? Les plus récents, les Russes. On trouve encore certains de leurs cadeaux des années plus tard, quand on a le malheur de poser le pied dessus. Si en 330 Alexandre a marqué le pays de son empreinte en fondant Kandahar, la ville porte toujours son nom, bien que ce soit en langue Perse, deux mille trois cent cinquante ans plus tard. Lui aussi avait subi de lourdes pertes lors de son passage dans le pays.

Le rugissement assourdissant des moteurs de l'Hercule C130 résonne dans la carlingue métallique, tandis que l'odeur caractéristique du carburant flotte dans l'air. À l'intérieur de l'avion, le froid de l'altitude se fait sentir.

Je fixe le sac, usé par les années de service, soigneusement attaché près de moi, contenant tout ce qui me reste. Quelques vêtements, une boîte de biscuits abritant mes précieuses médailles et, surtout, le document le plus important : la lettre de mon commandant en chef me remerciant pour mes années de service. Ce papier, si significatif, m'accorde le droit de rentrer chez moi et de chercher du travail, mais honnêtement, je me sens perdu quant à l'avenir. J'ai rejoint les Marines à dix-sept ans, et quinze ans plus tard, je les quitte. Qui voudrait m'embaucher en se basant sur mon curriculum vitae ? Mes compétences en informatique se limitent à des logiciels cryptés et classifiés et sont donc inadaptées au monde civil, et mes talents sociaux sont essentiellement axés sur l'art de l'interrogatoire, mais j'ai conscience que ces compétences ne sont pas aisément transférables dans un contexte civil, où la délicatesse est de mise. Bien sûr, je peux m'occuper du ménage, mais sans mon M-27 ou un lance-roquette, je doute que je pourrais nettoyer efficacement les quartiers difficiles. Je doute néanmoins que cela soit bien vu par l'opinion publique, même si cela pourrait satisfaire les promoteurs immobiliers.

Ironiquement, je n'ai pas d'adresse fixe, alors je vais devoir retourner vivre chez mes parents, la raison même pour laquelle je me suis engagé dans les Marines. C'est assez paradoxal. Si j'ai gagné un minimum de respect auprès de mon père en raison de mon service, je ne suis pas sûr que cela soit réciproque. C'était un emmerdeur quand je suis parti, il est probable qu'il le soit toujours. La différence, c'est qu'il n'élèvera plus la voix sur moi, sachant que je suis capable de lui tordre le cou avec mon petit doigt.

Je soupire alors que nous atterrissons sur la base de Fort Bragg, en Caroline du Nord et que, saluant mes frères d'armes en les remerciant de m'avoir pris en stop, je récupère mon sac pour descendre par la rampe arrière. Quelle sensation étrange de ne pas se sentir menacé par de possibles tirs de roquettes ou de snipers. Avançant vers un XO 1, je le salue et lui remet des documents de mon CO 2, les lisant, il les replie et me les rend, donnant des consignes à un lieutenant, me demandant de le suivre. Ce dernier organise mon transport pour ma prochaine destination, Phoenix, Arizona. Durant le vol, je profite de l'espace pour m'étendre et essayer de dormir un peu. L'avion est un peu plus confortable et surtout moins bruyant.

La chaleur écrasante du soleil de l'Arizona ne me dérange pas. J'ai vécu dans le désert plusieurs années, il n'y a pas de différence. Avant de me diriger vers un concessionnaire pour louer une voiture, je profite des services du USO 3 pour manger et boire, entouré de militaires, cherchant la moindre excuse pour retarder le moment d'aller chez mes parents.

Après avoir loué un SUV, je savoure le luxe de la climatisation et je prends la direction de la maison de mon enfance. La ville a changé depuis mon dernier passage, je me sens comme un touriste, étranger dans ma propre ville, à la recherche de magasins familiers, si je repère des enseignes qui me rappellent des souvenirs, je découvre plein de nouveaux commerces, apportant une nouvelle vitalité. M'engageant dans la rue où j'ai fait les 400 coups, je me gare le long du trottoir, mais je reste dans la voiture un moment. Je n'ai pas vraiment de raison d'être nerveux, c'est plutôt une réticence à m'abaisser à revenir chez mes parents. Heureusement, ils sont au travail, donc je vais avoir un moment pour moi, pour me préparer à les revoir. Récupérant mon sac, je sors mes clés pour entrer, mais, à ma grande surprise, la serrure a été changée. Je reste un instant perplexe devant la porte avant que je ne retourne à ma voiture.

Cover me with loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant