Chapitre 3

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Assis dans le salon, mes parents chacun dans un fauteuil, me faisant face et la causeuse pour moi seul, j'ai l'impression d'être pris entre la défense et l'accusation. Personne ne semble vouloir ouvrir les hostilités alors je prends une gorgée de bière. Ils sont encore en train de préparer leurs plaidoiries. Ils utilisent la même technique que lorsque j'étais enfant, ils attendent jusqu'à ce que je parle, impatient d'en finir.

« De toute façon, je ne pourrais pas vous dire grand-chose », dis-je pour couper court au silence, « en dehors des missions, ça va dépendre.

— De quoi ? » demande mon père.

Exactement pareil qu'à l'époque.

« Si au final ça a un lien avec une mission », dis-je en souriant.

« Tout n'est pas qu'une mission là-bas, n'est-ce pas ?

— Imaginons un instant que je me promène dans Kaboul, je vais au marché acheter à manger. Ce n'est pas une mission, je peux t'en parler. Durant ma promenade, je reconnais quelqu'un que nous recherchons, ça devient classé. Ai-je fini mes courses ? Me suis-je mis à le suivre et l'ai-je appréhendé ? Je ne peux pas en parler. Vous voulez savoir si j'ai participé à des combats, oui. Si j'ai tué, oui. Si des amis sont morts, oui. Si je suis intervenu dans des zones où je n'avais rien à faire, si j'ai arrêté des personnes recherchées, participé ou mené des interrogatoires, menacé ou plus ? Poser la question c'est y répondre. Mais c'est classé. Je ne suis plus l'ado innocent qui est parti il y a quelques années.

— Tu n'étais pas si innocent que ça », lance mon père.

« C'est de l'humour ou un reproche ? » demandais-je en le fixant.

C'est plus fort que lui ou tout ce qu'il dit m'irrite obligatoirement ?

« Daniel, s'il te plaît », supplie ma mère.

« Écoutez, je suis venu ici pour me retrouver, j'aurais pu aller ailleurs, ma solde ne m'a pas beaucoup servi. Je n'ai pas eu besoin de psychologue sur la base, je n'ai pas besoin de me faire psychanalyser par mes parents. Je vais trouver un boulot et me prendre un appartement. Maintenant, si ma présence est un problème, j'ai besoin de le savoir maintenant.

— Mais non, Daniel. Tu sais comment est ton père, il ne veut que le meilleur pour toi », temporise ma mère en posant sa main sur le genou de mon père.

« Quel genre de travail cherches-tu, tu as suivi des formations ? » demande mon père, intéressé par mon parcours.

« Bien sûr. Saut en parachute, tir de précision, fabrication sommaire d'explosifs, combat à mains nues, combat au couteau. Tir avec arme de poing, arme d'assaut, mitrailleuse. Conduite de char d'assaut, pilotage d'hélicoptère – enfin, je sais décoller, l'atterrissage est à revoir – » plaisantais-je en tentant une blague. « Bref, rien qui cadre dans un CV en milieu urbain.

— Donc, tu n'as aucune qualification utile », résume mon père.

« Je ne dirais pas que c'est inutile non plus.

— Certes. Le jour où le Canada nous envahira, tu auras du travail, mais en attendant, ça ne sert à rien.

— Je peux aller à Los Angeles et devenir garde du corps », dis-je en haussant les épaules.

« Oui, c'est sûr », sourit ma mère. « Ou alors, il y a Paradise Alley. »

Qu'est-ce que c'est ? Un club de striptease ? Un bar ? Elle veut que je devienne videur ?

« Qu'est-ce que c'est ? » demandais-je, néanmoins curieux.

« Le vieux diner de ton grand-père, tu pourrais le reprendre. Il faudra certainement le retaper, il est fermé depuis un moment, et la maison est habitable... sûrement.

Cover me with loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant