Le dernier mot - Tome 1

Chapitre 11

Roméo

Le samedi est enfin arrivé ce qui veut dire qu'Emilia vient chez moi cet après-midi. Je suis très heureux en ce moment, tout se passe bien avec mes potes, j'ai retrouvé goût à la musique, Emilia me rend également plus heureux jour après jour alors qu'elle ne fait rien de particulier. Elle est juste là, ce que je préfère c'est son sourire, elle ne s'en rend pas compte mais la voir sourire me le donne aussi. Il y a également Chantilly – le prénom qu'on a donné à notre petit chaton. C'est Lisa qui l'a trouvé en ouvrant le frigo le jeudi soir. On a tenté plein de noms différents mais rien ne lui correspondait vraiment. On a tous validé l'idée et elle porte ce nom qui, je l'avoue, me donne faim.

Aujourd'hui Emilia vient à la maison et comme il pleut beaucoup nous n'allons pas remettre la séance de skate comme il y a deux semaines même si j'aurais bien voulu revivre ce moment. Je ne sais pas ce qu'on va faire mais au moins on sera ensemble et c'est largement suffisant. Nous n'avons plus besoin de nous trouver des excuses pour nous voir comme au début. Maintenant, c'est plus naturel, plus détendu et j'apprécie encore plus qu'au commencement de nos après-midi ensemble.

Elle arrive juste après le repas. On se met souvent à table tard par rapport aux standards de la société mais ça ne me dérange pas. C'est surtout dû au fait que papa ne voit pas le temps passer quand il est dans son atelier. Il a beaucoup de commandes en ce moment pour des grosses pièces et il aimerait toutes les valider rapidement pour ne pas trop faire attendre les clients.

Lancer sa boutique en ligne a vraiment été une des meilleures idées qu'il ait eu de toute sa vie. Il jongle entre ça et un temps partiel dans une grande enseigne de bricolage pour s'assurer un minimum de salaire à la fin du mois s'il y a un problème avec la boutique mais en ce moment il n'a aucun souci à se faire. Je suis heureux pour lui qu'il ait pu trouver un métier qui le passionne tellement qu'il n'a pas l'impression de travailler. Jouer avec le bois a toujours été sa passion. Quand on est arrivés dans cette maison, il s'est directement réservé une pièce pour son activité. La boutique existait déjà à cette époque mais il n'avait pas de réel atelier et papa exerçait son activité dans le garage, ce n'était pas très agréable pour lui. Comme la maison est grande, il y a largement assez de place pour ce genre d'aménagement. On a même créé une pièce pour maman même si elle n'y est jamais entrée. On ne voulait pas se séparer de ses affaires. De temps en temps, même si c'est difficile, je rentre dedans. A chaque fois les larmes me montent aux yeux et je n'arrive pas à les retenir très longtemps. Cet endroit c'est tout ce qu'elle était. Ses posters préférés, son piano, sa petite collection de guitares, les rideaux jaunes. Il y en avait partout dans notre ancienne maison, elle adorait cette couleur. Ça fait quelques temps que je n'ai pas osé y retourner, il faudrait que je le fasse. Même si je pense constamment à elle, entrer dans cette pièce, c'est comme honorer sa mémoire un peu plus fort.

Emilia salue tout le monde quand elle rentre. Elle est un peu plus à l'aise qu'au début avec eux, même s'ils ne se sont vus que deux ou trois fois. Elle a une capacité à mettre les enfants en confiance très facilement et mon père l'a tout de suite aimée. Nous montons tout de même rapidement dans ma chambre sans trop nous attarder sur la discussion, même si aujourd'hui elle peut rester un peu plus tard à la maison que d'habitude, je compte en profiter un maximum. Alors que nous étions dans les escaliers, papa nous a dit de laisser la porte ouverte – au cas où – et Emilia est devenue toute rouge en l'espace de deux petites secondes. Ce n'est pas la première qu'il nous le dit, en fait il l'a toujours fait je crois, mais le même sentiment s'empare de nous à chaque fois. Dans ces moments-là, j'évite de croiser son regard. Même si je crois ressentir ce que je pense au fond de moi, je ne peux pas y réfléchir trop longtemps, ça me ferait trop mal. J'ai des difficultés à laisser les personnes prendre une place trop importante dans ma vie. C'est pour cette raison que je suis assez éloigné de tout le monde au lycée et que je ne parle qu'à peu de personne. A part mon groupe d'amis que je ne changerais pour rien au monde, je ne veux pas avoir d'attache. Ça fait trop mal pendant trop longtemps quand ces personnes en sortent. Mais Emilia est arrivée et elle a tout bousculé. Dans mon cerveau et dans mon cœur. Je ne sais plus ce que je dois faire. Elle a pris une si grande place dans ma vie que je ne me vois pas la repousser. Autant attendre que la vie me l'arrache que de me l'arracher beaucoup plus tôt. Mais, d'un autre côté, si ça continue comme ça, est-ce que dans six mois, je ne ressentirais pas encore plus de chose pour elle, et alors à ce moment-là, je serais anéanti ?