Les femmes qui se montrent incertaines et inquiètes en présence de celui qu'elles aiment n'ont jamais aucun succès. Rien ne séduit plus sûrement un homme que le détachement.
Olivia s'était cependant persuadée du contraire ce soir. Le visage livide, la main agrippée à son portable, elle tentait désespérément de joindre Antoine Favre toutes les 10 minutes, sans succès.
- Ce n'est pas parce que je l'appelle une dizaine de fois en l'espace de 2 heures qu'il va me prendre pour une assoiffée, me dit-elle tout en cherchant du regard mon approbation.
- Et si tu passais une bonne soirée pour changer ?
Cette fois-ci, j'étais déterminée malgré ses regards suppliants à ne pas la conforter dans l'idée que le style sangsue était sexy et envoutant. Ce n'est pas la première fois que ce type est injoignable et te manque de respect. Je ne comprends pas ce que tu fais encore avec lui.
- J'ai essayé de le quitter des dizaines de fois, soupira-t-elle. Une force irrationnelle nous réunit à chaque fois.
- Par « force irrationnelle », tu veux parler du cocktail hormonal qui s'agite dans ton cerveau et qui fait de toi la proie idéale du premier crétin venu aux génomes compatibles ?
- Ce qui me touche le plus chez toi Eva, c'est ton romantisme, coupa mon amie, qui n'avait jamais beaucoup aimé la biologie.
Au même moment, j'aperçus les deux célibataires les plus en vue de la ville. Edouard Dunand et Tristan de Nanteuil se dirigeaient vers nous d'un pas nonchalant, conscients qu'ils étaient observés de tous. Nous étions face à deux représentants de la « vieille Genève »: tous deux appartenaient à une ancienne famille patricienne protestante, habitaient rive gauche, possédaient une « campagne » (maison de maître située extra muros), déjeunaient au Cercle de la Terrasse, skiaient l'hiver à Verbier, régataient en été, roulaient en Porsche et leurs poignets arboraient fièrement une Daytona.
Tristan en particulier était une légende vivante dans la cité de Calvin. Sa particule, ses exploits au très select Golf Club de Genève où seuls les vieux Genevois avaient droit d'entrée et le fait que sa famille détenait un établissement bancaire le rendaient irrésistible aux yeux de toutes les filles de la ville. Il aurait pu être qualifié de beau mais le fait d'appartenir à la bonne société protestante le portait à avoir une haute opinion de lui-même et à juger son prochain avec dédain, ce qui lui déformait les traits. Le rictus ironique qui déformait perpétuellement le coin de sa bouche échappait cependant aux célibataires de la ville qui, trop aveuglées par sa fortune et son rang, ou intimidées par la hauteur de ses manières, le voyaient tel qu'il désirait être vu: le meilleur catch de Genève.
Edouard était quant à lui un garçon svelte au visage admirable qui n'avait qu'une ambition dans la vie: faire bonne impression. Un objectif qui rendait sa personnalité difficile à cerner, tant ses idées et ses opinions variaient en fonction de son interlocuteur. Comme l'eau qui épouse la forme de n'importe quel vase, il adhérait à n'importe quel discours pour se rendre agréable.
Il s'avança vers moi, me tapota le dos amicalement et se mit à parler au hasard, débitant toutes les banalités en usage entre gens qui se connaissent superficiellement depuis dix ans. Après un bref échange sur l'ambiance de la soirée et le choix de la musique, il commanda un magnum. Un peu plus loin, hautain et dédaigneux, Tristan se promenait de droite et de gauche dans la salle. Il prenait un plaisir évident à ce que tous les regards féminins convergent vers lui. Au bout d'un quart d'heure, il s'approcha cependant de notre table et échangea quelques mots sur la soirée avec son ami. En bon Genevois qui se respecte, il ne nous salua pas.
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Jeune Eve
ChickLitJeune Eve raconte la vie d'une jeune femme prénommée Eva à Genève, petite ville calviniste où les outsiders ont toutes les peines du monde à s'intégrer.