Shooté aux hormones de l'amour

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- J'ai un pneu crevé. Est-ce que tu aurais une minute pour m'aider à changer une roue ?

Il était 15 heures. J'étais confortablement installée sur mon canapé, sur le point d'entamer « Plaidoyer pour l'altruisme » de Matthieu Ricard. La voix hurlante de Léo dans l'interphone me fit l'effet d'un électrochoc. Mon après-midi thé/lecture s'annonçait compromise.

- Je ne sais pas changer les roues, répondis-je avec une amabilité un peu forcée. Il y a un garage pas loin.

- C'était une plaisanterie, espèce de pintade végétarienne dépourvue du sens de l'humour ! Ouvre ! J'ai très envie d'une petite infusion. La bonne nouvelle, c'est que je t'apporte une salade d'algues.

- Je suis en pleine lecture là, dis-je, dans un ultime effort de le faire décamper.

- Ouvre, saleté !

Léo était tenace, il était inutile de luter. Je promenais un regard inquiet sur mon appartement. Heureusement, la femme de ménage était passée la veille. J'appuyais sur l'ouverture de la porte. Une minute plus tard, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et Léo en sortit pantelant et surexcité, un sac de sport sous le bras.

- Je reviens du fitness. Je sens un peu l'homme. Tu veux sentir ? dit-il d'un air significatif.

- Au prix d'un immense effort de volonté, je vais résister à cette tentation.

- Tu vis dans un quartier déprimant. Champel est une gériatrie. Il n'y a que des opticiens, des magasins de sonotones et des tea rooms. Tiens, je t'ai ramené ça.

Il me tendit un ours en chocolat noir du Moule à Gâteaux, un repère bien connu des rombières de la route de Florissant, et deux CD de musique : Harvest de Niel Young et For Lovers, de Pete Doherty.

- Ton intérieur a l'air très coquet, dit-il en poussant ma porte d'entrée.

Je le laissais pénétrer à contrecœur dans mon sanctuaire. Jusqu'ici, seuls les amis de longue date y avaient accès. J'habitais un deux-pièces au huitième étage d'un immeuble chic, avec une vue imprenable sur le jet d'eau. Mon intérieur était si petit que je ne disposais pas d'une pièce impersonnelle pour recevoir mes invités. Ils atterrissaient directement dans ma chambre où j'avais cependant aménagé un espace salon. Une personne observatrice pouvait tout apprendre de moi rien qu'en observant ma décoration et le choix de mes lectures.

Comme je m'y attendais, à peine rentré, le comédien procéda à l'inspection des lieux : il ne lui fallut que trente secondes pour passer en revue le canapé imitation cuir, le guéridon en acajou, l'immense écran plat de télévision, le bureau organisé et un tableau de Magritte, Les Amants, représentant un homme et une femme s'embrassant le visage entièrement recouvert d'un drap clair. En voyant ma gigantesque garde-robe, il chantonna « la vanité, toujours la vanité », mais ce qui retint le plus son attention fut ma bibliothèque où, sur trois rangées d'étagères, une centaine de livres consacrés au développement personnel étaient parfaitement alignés. Il me considéra, médusé.

- Tu ne lis jamais de romans ?

- Bien sûr que si. Mais je ne suis pas douée pour le bonheur. Alors je lis et je m'instruis sur les différentes façons de parvenir à une paix intérieure.

- Je vois... Les sept lois spirituelles du succès de Deepak Chopra, Aucune rencontre n'arrive par hasard de Kay Pollak, L'infiniment peu de Dominique Loreau, L'homme qui voulait être heureux de Laurent Gounelle, Enquête sur l'existence des anges gardiens, L'éveil des sens : vivre l'instant présent grâce à la pleine conscience, Il existe une solution spirituelle à tous vos problèmes, Les clés du secret, marmonna-t-il. Tous tes livres racontent les mêmes âneries sous une forme différente. Respirer, méditer,  blablabla...

Jeune EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant