Léo s'était installé chez moi depuis trois semaines. A l'exception d'un samedi ou il avait dû faire acte de présence auprès de sa femme et de ses fils, il n'avait plus quitté mon appartement depuis son retour de Vegas. Ses caleçons, son jeans et ses t-shirts envahissaient mon appartement jadis bien rangé. Chose étrange, sa femme prenait régulièrement de ses nouvelles par téléphone. Léo s'isolait alors sur mon balcon. Je n'entendais que des bribes de conversations qui ne m'éclairaient guère sur la situation. Un soir, je surpris pourtant un texto qui me laissa sans voix : «Dis moi que tu m'aimes, et je te pardonne tous tes péchés». Le cirque avait assez duré.
- Tu as jusqu'à samedi midi pour clarifier la situation, lui dis-je alors que nous étions installés sur mon canapé, sur le point de regarder les Invasions Barbares.
- Sheisse ! Je fête les 80 ans du beau père au Na Village ce week-end. Accorde moi un délai plus long.
Mon délai comminatoire l'amusait beaucoup, comme toutes mes réactions depuis le début de cette relation ubuesque.
- Très bien, dis-je, magnanime. On est le 2 février. Tu as jusqu'à la fin du mois.
- C'est tout, s'étrangla-t-il ?
- C'est déjà trop, tranchais-je en appuyant sur play.
Le samedi soir, alors que Léo fêtait en grandes pompes l'anniversaire du père de sa femme dans le meilleur restaurant thaï de la ville, je décidais de me changer les idées et accompagnais Olivia à l'Ecurie, une ancienne auberge du quartier des grottes. Le lieu abritait tout ce que la ville comptait de marginaux et de rebelles. La bière y coulait à flots dans une atmosphère densifiée par le cannabis.
Pour l'occasion, mon amie avait revêtu des talons hauts et une petite robe noire moulante. Autour de nous, des hipsters fumaient des joints sur un sol couvert d'une fange mêlant la boue, les mégots de cigarettes, la bière et pire.
- Cet endroit sent l'urine, observais-je en me pinçant le nez.
- Ca nous change de tous ces clubs bourgeois à la con, rétorqua Olivia que mon apnée laissait indifférente.
Les pieds dans la gadoue, mon amie se mit à danser sur un air de manouche. Je l'observais accoudée au bar, une eau minérale à la main. A côté de moi, un type sans dents m'éclaboussa de sa bière. Je soupirais. Combien de temps allais-je devoir endurer cet endroit insalubre? Au bout d'une heure, Olivia s'éclipsa aux toilettes puis revins me voir, survoltée.
- Viens, dit-elle hilare. Un mec et une nana sont entrain de s'envoyer en l'air aux toilettes. C'est à mourir de rire.
Je la suivais, curieuse. Les hurlements du couple étaient audibles à des mètres à la ronde. En m'approchant, je sentis le sol trembler. Encore quelques coups et le mur s'écroulerait à coup sûr. J'éclatais de rire en même temps que mon amie.
- C'est la fête du slip, nous dit un type avec des dreadlocks aussi longues que ses jambes.
Son visage était avenant et il avait un sourire sincère. La faune de l'Ecurie était attachante, qui l'eut cru ? Tandis que je commençais à trouver un certain charme à ce lieu, la porte des toilettes s'ouvrit. Une petite brune pulpeuse déboula devant nous. Encore étourdie, elle ajusta son soutien-gorge en nous adressant un sourire gêné. Je lui souris en retour puis mon sang se glaça. A côté d'elle, les joues rosies par l'exercice, Léo fermait sa braguette. Ses pupilles étaient dilatées et une paille dépassait de la poche de sa chemise. Le comédien s'étrangla à ma vue. Il dirigea un regard paniqué vers la petite brune puis, se tournant vers moi, s'exclama :
- Cette fille ne représente rien. C'est comme si j'avais été aux putes.
Il prit ma main droite dans la sienne sous le regard médusé de la petite brune puis ajouta:
- Tu me crois, Eva, dis moi que tu me crois, je t'en supplie.
- Vous en parlerez calmement un autre jour, coupa Olivia.
- Tu ne vas pas m'en vouloir pour une crampouille tirée dans ce trou à rats ? insista Léo, en serrant ma main plus fort. C'est de ta faute, tout ça ! A trop vouloir faire la prude, voilà ce qui arrive !
- Ca fait combien de temps que vous vous envoyez en l'air ? demandais-je en retenant ma respiration.
- C'est un coup d'un soir, répondit Léo. Un dévaloir à couilles que j'ai trouvé au bar de l'Ecurie, rien de plus. C'est fou les conneries qu'on peut faire quand on s'ennuie, tu ne trouves pas?
La mâchoire de la petite brune tomba tandis qu'elle réalisait (enfin!) non sans un certaine stupeur et incompréhension que le comédien parlait d'elle.
- Ca fait six moi que tu m'emmènes dans ta Sainte Chapelle pour baiser, s'écria-t-elle.
Malgré sa petite taille, elle avait du coffre. Sa voix résonna haut et fort dans les toilettes de l'Ecurie.
- Connasse de petit boudin, hurla le comédien dans sa direction.
Puis, se tournant vers moi, il ajouta :
- Elle écoute du Michel Berger. J'aurais dû m'en méfier.
C'était du Léo tout craché. Au cœur du cyclone, il arrivait encore à faire de l'humour.
- Six mois que tu couches avec cette fille, murmurais-je dans un souffle à peine audible.
J'avais été d'une naïveté abyssale. Le comédien avait trompé sa femme avec moi. J'étais à présent le dindon de la farce.
- Tiger Woods, on lui a tout pardonné, poursuivit rapidement Léo qui restait volubile malgré les circonstances. Dix-neuf maitresses et 100 millions de dollars. Léo : un boudin, 100 francs. Et je purge encore. Je vis une injustice ! Mais le ciel reconnaitras le sien, et celle que j'aime.
- Et il ose parler d'amour, compléta Olivia. Décidemment, c'est vraiment un enfant de cœur, mon Antoine.
- Si tu me traites encore une fois de boudin, je te fiche mon poing dans la figure, s'étrangla la petite brune.
- J'aimerais qu'on parle de tout ceci yeux dans les yeux, reprit Léo, pas le moins du monde déstabilisé par la petite brune qui s'était mise à trembler avec une intensité inimaginable. Contrairement aux apparences, je suis fidèle...en amitié. Et j'ai pas envie de perdre l'amie que tu es, Eva.
Une petite foule s'était amassée autour de nous, curieuse. Plusieurs personnes nous regardaient avec étonnement, d'autres souriaient, mais personne ne paraissait plus amusé que Léo. Olivia me fit un signe de tête, m'indiquant qu'il était temps de se diriger vers la sortie. Après une hésitation, je tournais doucement les talons. Je n'avais pas fait deux pas lorsqu'une main m'agrippa le cou.
- Tu me traites comme un criminel de guerre, souffla Léo dans mon oreille. Mengele a été mieux traité que moi ! Je me fous d'inverser ton jugement, je veux juste que tu entendes ce que j'ai à te dire. Je ne suis pas le monstre féroce que tu crois.
J'essayais de me dégager mais Léo resserra son étreinte et me plaqua contre le mur.
- Le juge suprême me condamne la tête tournée et sans un mot, questionna-t-il en m'obligeant à le regarder.
J'entendis alors Olivia pousser un petit cri de frayeur. Un coup de poing avait surgit de nulle part pour se loger dans les côtes de Léo. Surpris, le comédien lâcha son étreinte. Lentement, je me tournais pour voir le visage de mon bienfaiteur. C'était Tristan.
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Jeune Eve
ChickLitJeune Eve raconte la vie d'une jeune femme prénommée Eva à Genève, petite ville calviniste où les outsiders ont toutes les peines du monde à s'intégrer.